Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/753

Cette page a été validée par deux contributeurs.
749
VOYAGE DANTESQUE.

peut-être entendu raconter cette vision du frère Albéric, dont on retrouve quelques traits reproduits dans sa grande composition ; un mot sur le mont Cassin, voilà tout ce qu’on peut relever chez lui de souvenirs pittoresques au-delà de Rome. Les campagnes élyséennes, les radieux horizons, ne parlaient pas à l’imagination pensive et grave du Florentin, et la molle et brillante Parthénope ne lui a pas inspiré un vers.

ORVIETO ET BOLOGNE.

Bien que Dante n’ait pas parlé d’Orvieto, en passant par cette ville, on est forcé de penser à lui. Les admirables fresques du Jugement dernier, par Lucas Signorelli, offrent plusieurs détails qui rappellent certaines peintures de Dante. Ici, comme à la Sixtine, la barque pleine de damnés ressemble à celle où Caron les pousse pêle-mêle à coups de rame. Des anges jettent gracieusement des fleurs, comme d’autres anges les répandent en nuage autour de Béatrice[1]. Mais ce qui est exactement copié d’un vers de Dante, c’est le groupe célèbre dans lequel on voit un démon emporter à tire d’aile, sur son épaule, une pécheresse[2]. « Et je vis venir derrière nous un diable noir. Ah ! comme il me semblait terrible ! Les ailes étendues et le pied léger, il emportait fièrement un pécheur sur son épaule pointue, et le tenait fortement attaché par les nerfs des pieds. »

Michel-Ange passe pour avoir imité quelques traits de l’étonnante composition de Lucas Signorelli, dont le style, singulièrement hardi pour le temps, devance d’une manière frappante le style du grand dessinateur florentin. Il est naturel que celui qui a pu deviner d’avance et peut-être inspirer le génie de Michel-Ange se soit empreint de l’esprit de Dante et soit comme un intermédiaire entre ces deux génies de même trempe.

Les populations de la Romagne comptent parmi les plus énergiques de l’Italie. Ici on ose prononcer en public le nom de la liberté, dont le désir est dans tous les cœurs. Les Romagnols d’aujourd’hui donnent un honorable démenti à ce vers que Dante adressait à leurs ancêtres :

« Ô Romagnols changés maintenant en bâtards[3] ! »

Les villes industrielles et paisibles que traverse aujourd’hui une

  1. Purg., c. XXX, 30.
  2. Inf., c. XXXI, 31.
  3. O Romagnoli tornati in bastardi ! (Purgat., c. XIV, 99).