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Frioul montrent un rocher nommé encore aujourd’hui le siége de Dante, sur lequel il méditait et composait ses vers.

Il n’en est pas de même du monastère de l’Avellana, où se conservent aussi le souvenir et la religion de Dante. Le poète a parlé de « la sainte solitude faite pour l’adoration, au-dessous de cette bosse de l’Apennin qui s’appelle Catria[1]. » La mention était précise ; je ne pouvais me dispenser de visiter cette retraite, et d’aller, moi indigne, demander l’hospitalité à une porte où Dante avait frappé. De plus, on me parlait de l’Avellana, placé au cœur des Apennins et vers leur plus haute cime, comme d’un lieu pittoresque et sauvage. Je quittai donc, un peu après Aggubio, la route de Fano et de Rimini, et je m’enfonçai dans les Alpes de l’Ombrie.

Le mot Alpes, qui dans l’usage s’applique en Italie aux montagnes, et que Dante a employé dans ce sens, n’a rien ici d’exagéré.

Il faut, pour arriver au couvent, chevaucher pendant cinq heures au bord d’un précipice. Le sentier toujours étroit et sinueux tourne autour du plus haut des sommets, qui tous deux portent le nom de Catria. C’est le dos de l’Apennin, dont parle Dante. Enfin on arrive en vue de l’abbaye, qui déploie sa vaste façade sur une pelouse appuyée à la montagne et dominée par de hauts rochers tapissés de sapins. On voit le terme, mais on n’y est pas encore parvenu ; il faut plonger dans un ravin où le chemin semble disparaître, puis remonter la pente opposée. S’il est un lieu fait pour abriter une existence orageuse et persécutée, c’est l’Avellana.

Nous fûmes reçus comme on l’est dans tous les monastères semés au milieu des solitudes apennines, comme je l’avais été quatre ans auparavant à Valombreuse, aux Camaldules, à l’Alvernia. J’eus même occasion d’éprouver, à mon entrée dans l’abbaye, les soins hospitaliers des pères. Une chute de cheval m’avait froissé le bras ; ce très léger accident ne me déplaisait point ; je n’étais pas fâché d’être, à si bon marché, un peu martyr de ma dévotion pour Dante. Le frère Mauro, qui était à la fois le cuisinier, le pharmacien et le chirurgien du couvent, de la même main qui venait de m’offrir une tasse d’excellent café, s’empressa de frictionner énergiquement la partie blessée, et y appliqua un baume de sa composition, traitement dont je me trouvai très bien. Après les premières paroles échangées, l’abbé, qui est un homme instruit, qui semble aussi un homme de caractère, et qui, ou je me trompe bien, ne passera pas sa vie enterré dans les

  1. Parad., c. XXI, 109.