Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/727

Cette page a été validée par deux contributeurs.
723
REVUE LITTÉRAIRE.

le gênaient, et qu’il ne comprenait plus, il fit comme l’Arabe qui brise sans pitié la pierre des tombes égyptiennes sur lesquelles il a planté sa chétive masure, et qui se rit dédaigneusement de ces signes bizarres, langue sainte dont le barbare a perdu le secret. » Ces quelques mots forment tout un chapitre, le XIVe du second livre. L’image est brillante ; malheureusement elle ne reflète dans les esprits qu’une idée fausse. L’impression qui en reste est défavorable à Justinien, qu’il eût été plus juste de louer, pour avoir effacé du livre de la loi un privilége abusif et déjà tombé en désuétude.

Mettons-nous au point de vue de l’auteur. Embrassons d’un seul coup d’œil le tableau d’ensemble qu’il expose, et demandons-nous si pour la France en particulier il est d’une exactitude satisfaisante. M. Laboulaye entre en matière par un résumé de savans travaux de Niebuhr, qui ont montré dans l’ancienne Rome deux sortes de propriété : le dominium, ou domaine privé, bien patrimonial, dont l’inviolabilité ne fut jamais contestée ; et les possessions, ou terres publiques dont le fonds appartenait à l’état, mais dont la jouissance pleine et entière était obtenue, en vertu d’un bail perpétuel, par les familles patriciennes. Une exploitation commune à ces possessions et aux propriétés patrimoniales du noble fermier finissait par confondre ces deux natures de biens, de telle sorte que leur séparation devenait impossible, et que le contrat de bail obtenait en réalité toute la puissance d’un acte d’acquisition. Ainsi se formaient ces vastes domaines qui, selon l’unanime témoignage des politiques anciens, causèrent la ruine du sol italique. Ce que la plèbe demandait avec tout l’emportement du désespoir, c’était non pas la spoliation des héritages paternels, mais une répartition plus équitable des terres publiques, réserve sacrée de l’état, acquisition commune à laquelle chacun avait contribué de son sang et de ses sueurs. La lutte eut pour dernier résultat le renversement de la constitution républicaine : ainsi le voulait la loi fatale des révolutions. Quand un abus porte profit à une classe entière, il ne peut plus être corrigé que par un déclassement brutal, par une refonte générale et hasardée de tous les élémens dont la société se compose. Ces débats intérieurs de la république romaine, éclairés par le rayonnement des plus vives intelligences, seront l’éternelle leçon des hommes d’état.

Quoique l’histoire de nos ancêtres ait été tristement laissée dans les ténèbres, on croit distinguer qu’à l’époque où les lois agraires agitaient la société romaine, la nation gauloise était en proie à des convulsions de même nature.

Comment le sol gaulois se trouvait-il partagé entre les cités, ou petits états déjà constitués, et les rois, comme disaient les Latins, c’est-à-dire les chefs de tribus, qui sans doute résistaient avec une sauvage énergie aux envahissemens de la civilisation ? Quel était le rôle des classes inférieures ? Ces ambactes, dont l’antiquité a parlé diversement, étaient-ils des esclaves sans personnalité, comme ceux des Romains, ou bien des cliens attachés aux nobles, comme César l’a donné à entendre, ou une caste condamnée au travail, supposition autorisée par la signification du mot ambachter, qui se retrouve dans les lan-