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Histoire du droit de propriété foncière en occident, par M. Édouard Laboulaye[1]. — Encore un livre couronné par l’Institut. L’Académie des Inscriptions, qui produit fort peu, se fait sans doute un mérite des travaux qu’elle provoque annuellement. S’il est parfois utile de fomenter l’émulation, n’y a-t-il pas des inconvéniens très réels à ces programmes qui ne laissent pas à l’auteur la libre disposition de son plan, à la date de rigueur qui assujétit la pensée à la dure loi de l’échéance. L’Allemagne, à notre connaissance, ne délivre pas de médailles à ses savans, ce qui ne l’empêche pas de régner avec éclat dans la carrière de l’érudition.

C’est un livre d’ailleurs plein de science et de talent qui nous suggère ces réflexions, parce qu’il nous semble que l’auteur n’eût pas mérité les reproches que nous allons avoir à formuler, s’il ne s’était pas engagé dans les barrières d’un tournoi académique. Un tableau exact des révolutions de la propriété résumerait l’histoire de l’humanité entière, car les hommes ne s’agitent tant dans ce monde que pour arriver au bien-être dont la possession du sol est la plus sûre garantie. Pour remplir dignement un tel cadre, il faudrait avoir suivi chaque peuple à son tour dans les diverses manifestations de son existence, et savoir tout de lui, depuis les actes de sa politique extérieure jusqu’aux plus intimes secrets de son organisation. Mais, quand on s’est condamné à répondre à jour fixe aux questions posées par une académie, on songe moins à épuiser un sujet qu’à en présenter les généralités d’une façon saisissante. C’est ce qu’a fait M. Laboulaye. Il a cherché de larges traits et des nuances vigoureuses pour caractériser les grandes époques de la civilisation occidentale. Le volume soumis au public se divise en deux parties : constitution romaine, et établissement des barbares. Un autre volume, qui doit suivre, comprendra l’époque féodale et sera terminé par des considérations sur l’état actuel de la propriété foncière et sur son avenir en présence du prodigieux développement de la propriété mobilière. Pour chacune de ces époques, le droit de propriété est étudié dans ses rapports avec le régime politique, la législation civile, l’organisation de la famille. Cette triple exploration annonce une connaissance approfondie de ce que les jurisconsultes appellent l’histoire intérieure du droit. Nous reprocherons toutefois à l’auteur de ne procéder que par des conclusions générales, comme si l’Occident tout entier n’avait jamais formé qu’une seule société. Il domine les faits de si haut, que les détails lui échappent. Il cède trop aisément à la tentation d’expliquer le droit par des images, genre d’interprétation plein de dangers, même pour les plus grands génies, et qui a fait dire aux juges sévères que l’auteur de l’Esprit des Lois n’avait fait trop souvent que de l’esprit sur les lois, Quelques lignes donneront une idée des effets que M. Laboulaye affectionne : il s’agit de la distinction qui existait, dans l’ancien droit romain, entre la propriété quiritaire ou privilégiée et la possession restreinte des provinciaux. « Quand Justinien abrogea ces distinctions qui

  1. 1 vol.  in-8o, chez Durand, libraire, rue des Grès, no 4.