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la lutte s’est ainsi continuée de crise en crise et de date en date jusqu’au 13 mars 1831.

Ce chiffre, monsieur, est l’un des plus significatifs entre tous ceux de notre histoire contemporaine. Ce fut l’inauguration définitive d’un système qui variera sans doute dans les détails de son application, mais auquel la France a donné une adhésion éclatante comme au résumé de ses vœux et de ses besoins.

La doctrine qui reconnaît à chaque homme toutes les prérogatives de la souveraineté par le seul fait de sa naissance, et qui envisage la privation des droits politiques comme une violation des attributs même de la nature, a parmi nous beaucoup moins d’adeptes sincères que de zélateurs hypocrites. S’il disposait jamais de la force effective, le parti républicain, vous pouvez m’en croire, ne se mettrait pas plus en peine de constater les vœux de la majorité numérique, qu’il ne s’en inquiéta aux jours terribles de sa puissance. Au fond, ce parti comprend le gouvernement comme une dictature permanente ; l’anéantissement des résistances individuelles serait pour lui, non pas seulement une nécessité temporaire, mais la conséquence de son principe, l’œuvre obligée de ses impitoyables passions. Pour lui, la force est le droit, la terreur le moyen, le despotisme militaire le but. Anti-civilisateur par essence, il repousse ces hautes et souveraines qualités de l’ame par lesquelles la faiblesse s’impose à la force, du droit divin qu’exerce l’homme sur la brute, et la pensée sur la matière.

Il y a sans doute dans les rangs de ce parti un certain nombre d’intelligences dévoyées et naïves que les tristesses du présent repoussent, et qui poursuivent, même par une route ensanglantée, un chimérique avenir ; il y a là quelques rêveurs honnêtes, quelques mathématiciens politiques, alignant les vérités sociales comme des théorèmes, et ramenant le sort du monde à une équation d’algèbre ; peut-être même trouverait-on dans son sein d’austères ascètes au cœur desquels la sainteté de l’Évangile a parlé, et dont le seul tort est de vouloir appliquer aux sociétés politiques ce type du dégagement religieux qu’ils demandent follement aux institutions humaines, alors que la foi en fait l’œuvre d’une grace toute spéciale et d’une élection exceptionnelle.

Toutes ces confuses pensées, tous ces rêves ardens, toutes ces passions brutales, fermentant ensemble et l’une par l’autre, pourraient, sans doute, devenir redoutables pour un pouvoir épuisé par les intrigues, et qui continuerait de se montrer incapable de les do-