Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/711

Cette page a été validée par deux contributeurs.
707
LETTRES DE GANS.

la digne fille de Mme de Staël. Possédant toutes les qualités d’esprit et de cœur de sa mère, elle avait de plus une piété pure et élevée qui avait voulu prendre la rigueur des formes méthodiques, mais qui n’excluait aucunement le sens des choses du monde, des intérêts du jour et des luttes politiques. Ses convictions religieuses donnaient à ses jugemens un caractère de fermeté inflexible contre tout ce qui sentait l’immoralité ; mais son amabilité inaltérable, sa bonté affectueuse et cette condescendance de bon goût qui honorait toujours l’homme, jamais le rang, tout cela répandait sur ses manières une douceur attirante. Dans la révolution de juillet elle estimait surtout l’esprit de modération et de désintéressement, qu’elle aimait non seulement en théorie, mais en pratique. Aussi une position politique ne lui paraissait jamais désirable pour son mari, qu’autant qu’elle était commandée par la nécessité et qu’elle commandait un sacrifice. »

Cet éloge de Mme de Broglie n’est pas certes le plus grand qu’on pouvait faire d’elle, elle en méritait de plus grands encore ; mais il me semble un des plus touchans, quand, comparant le temps où il fut écrit et le temps où on le lit, on songe qu’il a plu à Dieu de retirer du monde à quelques mois seulement de distance celui qui louait et celle qui était louée : douloureux intérêt attaché, pour beaucoup d’entre nous, à quelques-unes des pages du Coup d’œil rétrospectif de Gans, pleines de noms qui nous sont chers, et dont plusieurs, et le sien surtout, ne peuvent plus se prononcer qu’avec une triste émotion.


Saint-Marc Girardin.