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LETTRES DE GANS.

mais parce qu’il n’y a de vie et de mouvement politique qu’à Paris. C’est à Paris, comme sur une place publique ouverte à toute la France, que se font les affaires et que se décident les évènemens. Paris, comme le forum antique, prend une résolution ; cela fait loi pour toute la France. J’ai souvent été près de me moquer de la façon dont la révolution de juillet s’était faite dans vos villes de province. On voyait la malle-poste arriver avec un drapeau tricolore, on entendait le courrier crier vive la Charte, et là-dessus, tout d’un coup, la révolution était faite. Cette obéissance mécanique des provinces à Paris, me semblait un mal ; c’est au contraire un grand bien, car sans cela vous eussiez eu trente-huit mille révolutions de juillet, autant que de communes, et que seraient, hélas ! devenus dans ce désordre le repos, l’honneur, la fortune, la vie des citoyens ? Avec votre manière de tout faire à Paris, le pays en est quitte à meilleur marché, et j’avoue en même temps que les provinces n’ont pas à se plaindre, car dans ce forum que vous appelez Paris, tout le monde est admis. C’est une table de jeu où se jouent les destinées de la France ; mais à cette table tout le monde est reçu, chacun y vient dire son mot ou tenir les cartes. La tribune et la presse surtout appellent à Paris toutes les idées importantes qui naissent dans quelque coin du pays. Aucune n’est étouffée, aucune n’est ignorée. Je dois avouer que je n’ai point trouvé en province une seule pensée qui eût à se plaindre de n’être point à Paris. Je n’ai, au contraire, trouvé en province que les idées de Paris. Paris, en France, semble chargé de faire tout le travail politique et intellectuel du pays ; c’est lui qui pense, qui discute, qui rédige, et, son travail fait, il l’envoie à la province. Cela est bizarre, surtout pour un Allemand ; mais cela est vrai en politique comme en littérature. Grace à cet arrangement, la province, dispensée de tout souci intellectuel et politique, et comptant sur ceux qui la représentent à Paris, la province fait ce que faisaient les citoyens des républiques anciennes hors du forum : elle fait ses affaires ; elle sème, elle plante, elle récolte, elle file, elle tisse ; enfin, elle travaille paisiblement. Avec l’habitude que vous avez, depuis trois cents ans, de tout faire selon la loi et l’esprit de Paris, je reconnais que la politique et la littérature que vous feriez en province auraient le double inconvénient de n’être point originales, parce que ce serait une imitation de Paris, et d’être petites et mesquines, parce que les passions locales feraient la politique à leur taille. Je me tiens donc pour content de ce que je vois, et je m’émerveille comment, sans y penser, sans le vouloir, et par des moyens