Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
REVUE DES DEUX MONDES.

chaque pensée, on peut affirmer, sans redouter l’évènement, qu’aucun parti au jour de son triomphe n’essaiera de faire prévaloir, au sein de la société française, des idées analogues à celles qui se maintiennent encore chez vous, et sont une si puissante défense contre les agressions de l’esprit moderne. Le parti légitimiste ne représente en France qu’un regret et qu’une espérance ; vainement y chercherait-on une école avec un ensemble de doctrines comme dans votre parti du church and state ; c’est bien plutôt une religion de loyauté qu’une religion de croyance. Aussi, tout ce que le cours des évènemens et des années en détache jour par jour, heure par heure, se trouve-t-il naturellement porté sur le terrain commun.

En sacrifiant un souvenir, en s’inclinant devant une irrévocable nécessité, on se retrouve dans les rangs de l’opinion gouvernementale, à laquelle on appartient par ses idées autant que par ses intérêts. Que notre gouvernement se maintienne, et ce parti lui vient nécessairement en aide ; si ce parti existe, c’est parce qu’il doute de l’avenir. Vous voyez dès-lors, monsieur, que c’est là un état d’isolement plutôt qu’un état d’hostilité. Si cette inertie est regrettable en ce qu’elle affaiblit la somme trop restreinte d’expériences, de lumières et de probités vouées au service du pays ; si, d’un autre côté, cette opinion peut créer des embarras au pouvoir, en s’associant à des idées en contradiction patente avec les siennes, vous comprenez qu’il ne faudrait pas attacher à des faits, transitoires de leur nature, une importance absolue, et s’exagérer la valeur d’un élément, à bien dire, négatif dans l’appréciation de l’état et de l’avenir du pays.

Le droit de participer au pouvoir, en raison des lumières et des intérêts qu’on représente, cette idée mère du mouvement de 89, qui s’est maintenue vivace et fervente à travers toutes les modifications constitutionnelles et toutes les vicissitudes de l’opinion, ne rencontre aujourd’hui d’adversaires avoués que dans les publicistes de l’école républicaine. Ceux-ci ne sont pas simplement des logiciens plus inflexibles que les premiers, comme affectent quelquefois de le dire leurs communs adversaires ; ils professent une doctrine très différente au fond, et partent de principes qui n’ont rien de commun.

Selon cette école, il n’y a de souveraineté légitime que la souveraineté universellement consentie ; tous les hommes ont absolument le même droit à la représentation politique, et dans la somme générale, toutes les unités sont rigoureusement égales. Les lumières et le génie, l’autorité de la vertu, de l’expérience et du talent, passent incessamment sous l’inflexible niveau de la majorité numérique.