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mélancolie, sur un bloc de granit au bord de la mer ; je ne voyais plus devant moi que l’immense espace des flots coupé par les trois îles de Cloven Cliff, Fuglesang et Norway. L’Océan était sombre et immobile, le ciel chargé çà et là de quelques nuages lourds, et de tous côtés couvert d’un voile brumeux ; seulement, sur un des points de l’horizon, on distinguait une lueur blanchâtre qui se déroulait sous les nuages comme un ruban d’argent : c’était le reflet des glaces éternelles. J’étais seul alors au milieu de la solitude immense ; nul bruit ne frappait mon oreille, nulle voix ne venait m’interrompre dans mon rêve. Les rumeurs de la cité, les passions du monde, étaient bien loin. Mon pied foulait une des extrémités de la terre, et devant moi il n’y avait plus que les flots de l’Océan et les glaces du pôle. Non, je ne saurais exprimer toute la tristesse, toute la solennité de l’isolement dans un tel lieu, tout ce que l’ame, ainsi livrée à elle-même et planant dans l’espace, conçoit en un instant d’idées ardentes et d’impressions ineffaçables. Si dans ce moment j’ai désiré tenir entre mes mains la lyre du poète, ce n’était qu’un vœu fugitif. J’ai courbé le front sous le sentiment de mon impuissance, et ma bouche n’a murmuré que l’humble invocation du chrétien.


X. Marmier.