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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.

représentant de la race humaine au point où elle est arrivée de son temps, c’est-à-dire, croyante et sceptique à la fois, vaine de sa force, irritée de sa misère, pénétrée du sentiment de la justice et de la fraternité, empressée de briser ses entraves, mais ignorante encore, moralisée à peine, incapable d’accomplir en un seul fait l’œuvre de son salut, et demandant encore au ciel, par habitude du passé et par impatience de l’avenir, un de ces miracles que le christianisme attribuait à Dieu en dehors de l’humanité. Le ciel est sourd, et le poète tombe accablé en attendant que son esprit s’éclaire, que son orgueil s’abaisse, et que son intelligence s’ouvre à la vraie connaissance des voies divines.

Pour nous résumer, nous dirons que nous voyons dans Faust le besoin de poétiser la nature défiée de Spinosa ; dans Manfred, le désir de faire jouer à l’homme, au sein de cette nature divinisée, un rôle digne de ses facultés et de ses aspirations ; dans Konrad, une tentative pour moraliser l’œuvre de la création dans la pensée de l’homme, en moralisant le sort de l’homme sur la terre. Aucun de ces poèmes n’a réalisé suffisamment son but. Mais combien d’œuvres vaillantes et douloureuses sortiront encore de la fièvre poétique avant que l’humanité puisse produire le chantre de l’espérance et de la certitude !


George Sand.