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REVUE DES DEUX MONDES.

rencontré. Je devine que tu es. Montre-toi et fais-moi sentir ta supériorité… — Moi, je veux de la puissance, donne-m’en ou montre-m’en le chemin. J’ai appris qu’il exista des prophètes qui possédaient l’empire des ames… Je le crois… Mais ce qu’ils pouvaient, je le puis aussi ! Je veux une puissance égale à la tienne ; je veux gouverner les ames comme tu les gouvernes. (Long silence.) — (Avec ironie.) Tu gardes le silence !… Toujours le silence !… Je le vois, je t’ai deviné, je comprends qui tu es, et comment tu exerces ta puissance ; il a menti celui qui t’a donné le nom d’Amour, tu n’es que Sagesse. C’est la pensée et non le cœur qui dévoilera tes voies aux hommes ; c’est par la pensée, non par le cœur, qu’ils découvriront où tu as déposé tes armes. Celui qui s’est plongé dans les livres, dans les métaux, dans les nombres, dans les cadavres, a seul réussi à s’approprier une partie de ta puissance. Il reconnaîtra le poison, la poudre, la vapeur ; il reconnaîtra les éclairs, la fumée, la foudre ; il reconnaîtra la légalité et la chicane contre les savans et les ignorans. C’est aux pensées que tu as livré le monde, tu laisses languir les cœurs dans une éternelle pénitence ; tu m’as donné la plus courte vie et le sentiment le plus puissant !
(Un moment de silence)

Qu’est mon sentiment ?
Ah ! rien qu’une étincelle.
Qu’est ma vie ?
Un instant.
Mais ces foudres qui gronderont demain, que sont-ils aujourd’hui ?
Une étincelle.
Qu’est la série entière des siècles, que l’histoire nous révèle ?
Un instant.
D’où sort chaque homme, ce petit monde ?
D’une étincelle.
Qu’est la mort qui dissipera tous les trésors de mes pensées ?
Un instant.
Qu’était-il, lui, quand il portait le monde dans son sein ?
Une étincelle.
Et que sera l’éternité du monde quand il l’engloutira ?
Un instant.

VOIX DES DÉMONS. VOIX DES ANGES.
Je sauterai sur ton ame comme sur un coursier. Marche, marche ! Quel délire ! Défendons-le ! défendons-le ! couvrons-lui les tempes de nos ailes !

Instant !… étincelle !… quand il se prolonge, quand elle s’enflamme, ils créent et détruisent… Courage !… courage !… étendons, prolongeons cet instant !… Courage !… courage !… éveillons, enflammons cette étincelle… — Maintenant… bien… oui… une fois encore, je t’appelle, je te dévoile mon ame… Tu gardes le silence ! N’ai-je pas combattu Satan en personne ? Je te porte un défi solennel ! Ne me méprise pas !… Seul je me suis élevé jus-