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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.

« Astre glorieux ! tu fus adoré avant que fût révélé le mystère de ta création ! Dieu matériel ! tu es le représentant de l’inconnu qui t’a choisi pour son ombre ! »

Dans la scène du commencement, qui ressemble si peu à celle de Faust, quoique Byron ait avoué cette ressemblance, Byron proclame encore l’immortalité de l’ame, en des termes plus clairs que les précédens :

Les Génies. — Que veux-tu de nous, fils des mortels, parle ?

Manfred. — L’oubli… l’oubli de moi-même
 

Le Génie. — Cela n’est point dans notre essence, dans notre pouvoir, mais tu peux mourir.

Manfred. — La mort me le donnera-t-elle ?

Le Génie. — Nous sommes immortels et nous n’oublions pas. Le passé nous est présent aussi bien que l’avenir. Tu as notre réponse.

Manfred. — Vous vous raillez de moi… esclaves, ne vous jouez pas de ma volonté. L’ame, l’esprit, l’étincelle de Prométhée, l’éclair de mon être, enfin, est aussi brillant que le vôtre, et… répondez !…

Le Génie. — Tes propres paroles contiennent notre réponse.

Manfred. — Que voulez-vous dire ?

Le Génie. — Si, comme tu le dis, ton essence est semblable à la nôtre, nous avons répondu en te disant que ce que les mortels appellent la mort n’a rien de commun avec nous.

Manfred. — C’est donc en vain que je vous ai fait venir de vos royaumes ! Vous ne pouvez ni ne voulez me donner l’oubli ?

Ici les Esprits cherchent à séduire Manfred par l’appât de la prospérité humaine. Ils lui offrent « l’empire, la puissance, la force, et de longs jours. » Mais l’ancien Faust est lassé de jouissances terrestres, et désormais il appelle le néant pour refuge à son immortelle douleur, le néant dont il n’osait parler jadis à Méphistophélès, tant il le craignait, et qu’il invoque aujourd’hui avec la certitude de ne le pas trouver !

Permettez-moi une dernière citation de Manfred. Vous connaissez tous cette dernière scène, incomparablement supérieure à tous les dénouemens de ce genre ; mais vous n’avez peut-être pas Faust et Manfred sous la main. Mon office est de vous les mettre en parallèle sous les yeux. Rappelez-vous qu’à la fin de Faust, Méphistophélès s’écrie : Maintenant, viens à moi ! et que Faust, toujours esclave du démon, se laisse arracher au dernier soupir de Marguerite. Comparez cette lâcheté à la force sublime de Manfred expirant, et voyez le rôle