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trine et l’oppresse. On ne peut s’en délivrer qu’en faisant le signe de la croix et en prononçant le nom de Jésus. On raconte aussi dans ces îles, comme dans presque toutes les contrées du Nord, que les morts peuvent revenir sur terre, soit pour se venger d’une offense, soit pour acquitter une dette qui les tourmente dans le tombeau, soit pour donner une dernière marque d’affection à ceux qu’ils ont aimés. Quand ils reparaissent dans le lieu où ils ont vécu, ils ont le pouvoir d’exaucer le désir de ceux qui les rencontrent. Il faut aller les attendre la nuit de Noël sur un chemin en croix, et prendre garde de prononcer un seul mot en les voyant, ou de faire un seul geste ; car alors le mort disparaît, et l’on ne peut plus rien espérer.

Autrefois on avait aussi une grande peur des sorciers. Quand une vache faisait son premier veau, on avait coutume de lui arracher quelques poils entre les cornes, afin de la préserver de tout sortilége. Quand on recommençait à la traire, on prenait d’abord quelques cuillerées de son lait pour en faire une libation aux esprits du foyer.

Enfin, il y a une foule d’histoires sur les Nikar ou esprits des eaux, sur les monstres de l’Océan et les hommes de mer qui attirent sur le rivage les jeunes femmes, et les emportent dans les flots. On a vu dans ce pays des baleines qui auraient fait honte à celle de Jonas. Dans une des îles du Nord, quatre paysans prirent un jour un bateau et s’en allèrent à la pêche. Le soir ils ne revinrent pas ; le lendemain et le surlendemain, on les chercha sans pouvoir les trouver. Un mois après, une haleine échoue sur la côte, on la tue, on l’ouvre, et la première chose que l’on aperçoit dans ses entrailles, ce sont les quatre pêcheurs, assis dans leur bateau et courbés encore sur leurs avirons. À Quanesund, des paysans, en allant à la pêche, entendaient chaque matin des cris singuliers et ne voyaient personne. Un jour enfin, ils parvinrent à apercevoir un homme de mer, s’en emparèrent et le conduisirent dans leur demeure. Le lendemain, ils le prirent avec eux en retournant à la pêche. Au moment où ils passaient au-delà des bancs de poissons, l’homme de mer se mit à rire. Ils revinrent en arrière et firent une excellente pêche. Chaque matin ils s’en allaient ainsi sur les flots avec leur guide mystérieux dont ils avaient appris à interpréter le ricanement et le silence ; chaque soir ils le ramenaient à Quanesund, lui donnaient pour nourriture du poisson cru, l’enfermaient dans une étable et faisaient une croix sur la porte. Un jour qu’ils avaient oublié de faire cette croix, l’homme de mer s’enfuit, et jamais on ne l’a revu. Sur la côte de Stromœ, il y a une famille qui prétend descendre d’un phoque. C’est là, je l’avoue, une étrange généalogie ; mais, comme elle m’a été expliquée de la manière la plus positive par un des membres de cette famille, j’ai bien dû la prendre au sérieux. Il faut savoir d’abord qu’il y a des femelles de phoques qui, en jetant sur la grève leur peau de poisson, prennent aussitôt une gracieuse forme de femme. Un matin, un pêcheur en vit une si belle, qu’il en devint aussitôt amoureux. Il l’emmena dans sa demeure, enferma soigneusement la peau de phoque dans un coffre, épousa la femme, qui devint mère de plusieurs