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où Dieu le laisse, et en quoi il remplit ses engagemens envers le diable. Son cerveau poursuit toujours un certain idéal de gloire et de puissance surhumaine qui n’est pas pourtant l’idéal divin ; il n’est ni assouvi ni entraîné par les passions que lui suggère l’esprit du mal. On ne voit pas en quoi il a trompé Marguerite. Il n’y a trace d’aucune promesse de sa part, ni d’aucune exigence intéressée de celle de la jeune fille. S’il se laisse ravir loin d’elle par les beautés de la solitude, quelques mots de Méphistophélès, instincts de concupiscence que Faust sait ennoblir par le remords, le ramènent auprès d’elle. Si Marguerite lui manifeste ses naïves terreurs, loin de la détacher de ses croyances, il tâche de la rassurer en lui expliquant les siennes propres, et il semble chérir en elle la candeur naïve et la pieuse ignorance. Si, bientôt entraîné de nouveau loin d’elle par l’inquiète curiosité, il s’élance sur le Broken, au milieu du sabbat magique, c’est-à-dire au milieu des passions délirantes, de la débauche et de la fausse gloire humaine (si spirituellement chantée par des girouettes et des étoiles tombées) ; l’horreur que lui inspire le blasphème et l’obscénité vient le saisir dans les bras d’une impure beauté, pour faire passer devant ses yeux l’image fantastique de Marguerite. Ce passage du sabbat de Faust est étincelant d’esprit et admirable de terreur.


Méphistophélès à Faust qui a quitté la jeune sorcière. — Pourquoi as-tu donc laissé partir la jeune fille qui chantait si agréablement à la danse ?

Faust. — Ah ! au milieu de ses chants, une souris rouge s’est élancée de sa bouche.

Méphistophélès. — C’était bien naturel. Il ne faut pas faire attention à ça. Il suffit que la souris ne soit pas grise. Qui peut y attacher de l’importance, à l’heure du berger ?

Faust. — Que vois-je là ?

Méphistophélès. — Quoi ?

Faust. — Méphisto, vois-tu une fille pâle et belle qui demeure seule dans l’éloignement ? Elle se retire languissamment de ce lieu, et semble marcher les fers aux pieds. Je crois m’apercevoir qu’elle ressemble à la bonne Marguerite.

Méphistophélès. — Laisse cela ! personne ne s’en trouve bien. C’est une figure magique, sans vie, une idole. Il n’est pas bon de la rencontrer ; son regard fixe engourdit le sang de l’homme et le change presque en pierre. As-tu déjà entendu parler de la Méduse ?

Faust. — Ce sont vraiment les yeux d’un mort qu’une main chérie n’a point fermés. C’est bien là le sein que Marguerite m’abandonna ; c’est bien le corps si doux que je possédai !