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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.

peare, l’ombre d’Hamlet produisait plus d’effroi et d’émotion qu’elle n’éveillait de réflexions philosophiques, et, au temps de Molière, la statue du commandeur, malgré le comique au milieu duquel elle se présentait, faisait encore passer un certain frisson dans les veines des spectateurs. Quelle qu’ait été la pensée frivole ou sérieuse de tous ceux qui, avant Goethe, avaient fait intervenir des êtres surnaturels dans l’action dramatique, il est certain qu’ils ont eu recours à cette intervention comme moyen dramatique bien plus que comme moyen philosophique. Ils ont eu, sans doute, en ceci, une pensée de haute moralité ou de critique incisive ; mais cette pensée n’était pas la pensée fondamentale de leur œuvre, comme il a plu à la critique moderne de le croire. Il n’en pouvait pas être ainsi, et le temps montrera que nos interprétations du XIXe siècle sur les mystères des poésies antérieures, comme sur les mythes historiques, ont manqué de circonspection, et sont, en grande partie, très arbitraires. Malgré l’ingénieuse explication d’Hamlet par Goethe, je suis persuadé que Shakespeare a conçu son magnifique drame beaucoup plus naïvement que Goethe ne put se le persuader, et que ce qui semblait à celui-ci si subtil et si mystérieux dans le héros de Shakespeare, avait une explication très claire et très ingénue dans les idées superstitieuses de son temps. Autrement, comment concevoir l’immense popularité des drames les plus profonds de Shakespeare ? Il faudrait supposer un public composé de métaphysiciens et de philosophes, assistant à la première représentation d’Hamlet ou de Macbeth. Or, malgré le progrès des temps, John Bull serait encore aujourd’hui fort scandalisé des interprétations fines et poétiques de Goethe ; et le bon Shakespeare, lui-même, beaucoup plus artiste et beaucoup moins sceptique qu’on ne le croit en Allemagne et en France, serait sans doute émerveillé, s’il revenait à la vie, de lire tout ce qui s’est publié en tête ou en marge de nos traductions depuis vingt ans.

Tout Hamlet, tel qu’il est analysé dans Wilhelm Meister, appartient donc à Goethe, et non à Shakespeare, de même que tout le Don Juan de Mozart, tel qu’il est analysé dans le conte d’Hoffmann, appartient à Hoffmann et nullement à Mozart, nullement à Molière, nullement à la chronique espagnole, de même encore que Faust n’appartient ni à la chronique germanique, ni à Marlow, ni à Widmann, ni à Klinger, mais à Goethe seul. Et c’est ici le lieu de dire que Faust est né de l’Hamlet de Shakespeare indirectement, vu qu’il est né directement de l’Hamlet de Goethe dans Wilhelm Meister, heureux té-