Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/595

Cette page a été validée par deux contributeurs.
591
REVUE LITTÉRAIRE.

irruption en France date du règne de Charles-le-Simple, et ils y renouvelèrent incessamment leurs invasions durant le Xe siècle. Comme l’histoire ne pouvait le plus souvent enregistrer leurs défaites, la légende supposait des miracles. M. Dussieux cite des exemples intéressans de ces fables chrétiennes. Ici, c’est un Hongrois dont la main s’attache à l’autel qu’il voulait piller ; là, c’est un moine que les blessures ne peuvent atteindre. Peu à peu cependant la religion des vaincus pénétra chez ces peuples. C’est l’éternelle histoire du fier Sicambre, et les barbares finirent tous ainsi. La dureté sauvage se conserva cependant bien des années encore dans ces peuplades. Ainsi, comme un évêque reprochait au roi Geysa d’adorer les dieux barbares en même temps que le dieu du Calvaire, il répondit avec colère : « Je suis assez riche pour servir tous les dieux. »

En résumé, le travail de M. Dussieux est digne d’éloges par la précision et les recherches. On voit que l’auteur, dégoûté sans doute du pathos humanitaire, s’est rejeté dans une rigueur scientifique, quelque peu aride parfois. Cet abus vaut mieux que l’autre ; mais nous ne doutons pas que, dans un prochain livre, l’équilibre ne se rétablisse, et que des généralités sages et élevées n’aient leur place à côté des détails particuliers et nécessaires.

On pourrait bien contester quelques rares assertions de M. Dussieux ; mais les contradictions ne seraient ni graves, ni importantes. Ainsi, il ne me parait guère prouvé que l’ogre de nos petits enfans vienne des Hongrois. Je sais bien qu’après les guerres puniques, Annibal en Italie, et, après son expédition, Richard-Cœur-de-Lion en Syrie, n’étaient plus qu’un sujet de contes pour les nourrices. Mais M. Dussieux ne donne aucune raison sérieuse de son opinion. L’hypothèse qui fait aussi descendre de ces barbares certains Bohémiens existant encore dans le département de la Moselle ne me paraît pas plus admissible. Toutefois les détails que donne l’auteur à ce propos sont si neufs et si curieux, qu’il serait par trop rigoureux d’en repousser l’opportunité et la convenance.


Histoire des lettres latines au ive et ve siècle, par M. Collombet[1]. — De consciencieuses études sur la littérature des premiers siècles du christianisme ont avantageusement fait connaître, depuis quelques années, le nom de M. Collombet. La pieuse famille des solitaires de l’île de Lérins, qui fut comme la Thébaïde de la Gaule, a trouvé en lui un interprète savant et fidèle, et les traductions de Vincent, de Salvien et de quelques autres écrivains non moins éminens de la primitive église, ont replacé, dans une lumière plus vive et plus facile à saisir pour tous, ces hommes qui, aux époques les plus barbares, semblent avoir gardé seuls le dépôt sacré de l’intelligence et de la vertu. Ce n’est pas seulement la simple curiosité historique qui a engagé M. Collombet dans cette voie d’investigation érudite ; c’est aussi une sympathie active et forte pour le christianisme, c’est le besoin de se consoler des tristes ennuis du présent par le spectacle des splendeurs religieuses du passé, de se rassurer sur l’avenir par le témoignage de ces philosophes pieux qui n’ont jamais désespéré de la sagesse providentielle. Un tel point de vue peut bien quelquefois nuire à la rigueur de la critique, faire transporter dans le passé les préoccupations du présent, et donner lieu à des rapprochemens souvent contestables ; il a du moins son élévation et son intérêt philosophique.

  1. 1 vol.  in-8o, Paris, 1839, chez Périsse, rue du Pot-de-Fer, 8.