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élevé. Charles-Martel n’est plus jugé au point de vue des ambitions du palais : il apparaît à M. Laurentie avec tous les signes d’une mission providentielle, qui suffit en quelque sorte à laver les fautes de sa vie. La réaction franque contre la race mérovingienne n’est qu’une expiation, parce que cette race avait mêlé des crimes à sa mission sociale et chrétienne, et en résumé l’histoire des révolutions n’est qu’une révélation de la pensée de Dieu. Pourquoi le sang des martyrs a-t-il trempé la terre des Gaules ? parce qu’il faut que chaque peuple donne, pour effacer ses souillures, son sang, comme Dieu a donné son fils pour l’humanité tout entière : de là les persécutions et la longue persistance des ténèbres païennes devant la lumière de la foi, car il fallait plus d’un siècle pour expier un crime qui datait de la création. Tout problème historique a de la sorte sa solution strictement, mais étroitement catholique.

M. Laurentie, dans l’histoire des origines du christianisme, adopte l’opinion qui présente comme définitive, sur plusieurs points de la Gaule, la prédication de l’Évangile dès le second siècle. Nous aurions souhaité sur cette importante question des détails plus précis, une appréciation moins vague ; mais il est juste de reconnaître l’intérêt véritable que l’auteur a su jeter sur ces premiers temps déjà tant de fois étudiés, et dont tant de livres ont popularisé la connaissance. La résistance des Gaulois à la conquête romaine lui a fourni également des pages animées et rapides. Il montre avec un remarquable talent l’inflexible politique des Césars, sans pitié comme le polythéisme antique ; et transportant, jusque dans les temps antéchrétiens, la préoccupation d’une philosophie tout exclusive, il cherche la principale cause du triomphe de Rome dans le relâchement du druidisme, et la défaite de l’aristocratie par l’élection populaire. La résistance nationale, les exploits de nos aïeux barbares, les faits merveilleux de ce courage gaulois, dont nous avons gardé la fougue, forment une série de récits dramatiques où les généreuses sympathies ne font jamais défaut aux courageuses infortunes. Puis, quand la Gaule est vaincue, quand elle a subi par la défaite et d’impitoyables ravages une sorte d’initiation qui va la préparer à son baptême, le christianisme arrive qui la console, unit les vainqueurs aux vaincus, répare et organise. Seule arche qui flottât dans ce déluge, l’église épand les rayons de la lumière morale, et le pouvoir politique lui-même s’efface devant elle. C’est le christianisme qui va constituer la société. Et ici, quelque part qu’il ait faite à l’influence de la pensée religieuse dans ces vieilles destinées de la France, M. Laurentie nous a paru plus près de la vérité historique et de l’appréciation mesurée que dans bien d’autres passages de son livre, et surtout dans ceux qui ont trait au rôle de la royauté dans les premiers siècles. M. Laurentie, il est facile de le deviner, prend avec vivacité le parti de l’église contre toute tentative d’insurrection religieuse ; sous quelque forme que se manifeste l’hérésie, ouvertement hostile, ou le schisme déguisé et timide, ces essais de l’esprit d’examen qui sont, pour une autre école historique, de remarquables hardiesses, ne lui semblent que de coupables folies ; il a soin de rapprocher du protestantisme moderne toutes les erreurs hétérodoxes du vieux temps, mais dans l’inflexible rigueur de son catholicisme outré il se montre, ce nous semble, trop facilement disposé à regarder comme des crimes de grossières rêveries, qui ne sont souvent que le triste résultat de la barbarie du temps. Ainsi, d’après le système constamment soutenu dans ce livre, tout ce qui s’est fait de grand et d’élevé dans l’ordre moral s’est accompli exclusivement par le christianisme, comme aussi le