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REVUE. — CHRONIQUE.

sur l’autre. Tout ce qu’on a imprimé, dans quelques feuilles allemandes, des armemens de la Russie, des mouvemens de ses troupes, paraît controuvé dans je ne sais quel but politique ou financier. Enfin, le cabinet anglais est trop prévoyant, trop habile, pour vouloir, dans ce moment, prendre sur lui la responsabilité d’évènemens immenses dans l’Orient.

Nous ne sommes pas au nombre de ceux qui voient l’Angleterre sur un volcan prêt à faire explosion ; nous croyons mieux connaître les fondemens et mieux apprécier les ressources de ce pays, en ayant au contraire foi dans son avenir et dans la durée de sa prospérité et de sa puissance. Il n’est pas moins vrai que la situation de la Grande-Bretagne est pleine de difficultés. L’Irlande à incorporer à l’Angleterre par l’égalité des droits, une révolution à accomplir, une église dominante à détrôner, de profondes traces de féodalité à effacer, une immense population industrielle à nourrir, des débouchés à ouvrir ou à conserver dans toutes les parties du monde ; tout cela est grave, difficile, dangereux.

L’insurrection chartiste a ses caractères tout particuliers. Ce ne sont plus de ces rassemblemens anglais, très nombreux, mais désarmés, ne connaissant d’autres moyens d’attaque que des vociférations, quelques pierres et de la boue. Les chartistes s’arment et se battent, mal et faiblement, il est vrai ; mais que le gouvernement anglais redouble d’attention. L’odeur de la poudre enivre le peuple plus que les liqueurs fermentées, et le goût du sang est aussi tenace et aussi difficile à réprimer que celui de la boisson.

Bien que l’opinion publique ne s’en préoccupe guère en France, la querelle des Anglais avec le gouvernement chinois ne laisse pas d’être un fait important. La Chine, qui, en 1795, ne recevait de l’Inde que mille caisses d’opium, en avait reçu en 1837 trente-quatre mille caisses, valant environ 100 millions de francs. La Chine, qui auparavant tirait chaque année de l’Amérique et de l’Europe une quantité notable d’argent, dans les dernières années payait, au contraire, environ 50 millions de francs en argent par an.

Les derniers évènemens ont tout bouleversé. Indépendamment des valeurs brutalement confisquées, le commerce anglais a perdu un débouché considérable, et la somme du numéraire circulant en Amérique et en Europe en diminue. L’Angleterre ne peut pas laisser sans protection de si graves intérêts, et, si les négociations échouent, elle devra recourir à des moyens plus énergiques. Déjà il en est question ; mais de pareilles entreprises sont fort coûteuses.

Enfin, la crise financière de l’Amérique est venue éclater sur l’Angleterre ; elle ne peut pas ne pas y produire un ébranlement.

Certes, la crise n’a rien eu d’imprévu pour les observateurs froids et désintéressés. L’Amérique s’est lancée dans la carrière économique avec toute l’impétuosité et la cupidité d’une jeunesse irréfléchie, téméraire, sans frein. Sous l’action trompeuse des banques locales, elle s’est jetée dans des entreprises par trop supérieures à ses capitaux, et, grace aux séductions des gros intérêts, elle a trouvé, en Angleterre surtout, un crédit exagéré. Sans doute, ses entre-