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REVUE. — CHRONIQUE.

constances, chez les autres il y a réaction ; l’envie de chercher autre chose peut séduire les esprits honnêtes et faibles.

Reste donc l’autre parti : essayer de reformer une majorité forte et durable. C’est le seul parti conforme à la dignité et à la sincérité de notre établissement politique.

Mais les difficultés sont grandes pour qui que ce soit dans la chambre, ministres et députés.

Où se placer ? Quel est le groupe qu’on prendra comme noyau générateur ? quelles sont les affinités qu’on sollicitera ? Au nom de qui ? de quels principes ?

Le centre gauche ne saurait songer à prendre la direction de ce mouvement. Ce qui a été possible un moment il y a huit mois, ne l’est plus aujourd’hui. Que serait le centre gauche sans M. Thiers ? Et comment M. Thiers pourrait-il le rallier tout entier sans se réconcilier d’abord avec MM. Dufaure et Passy ? Cette réconciliation, qu’elle soit ou non possible, qu’elle dût ou non ramener M. Thiers à l’hôtel des Capucines, pourrait-elle avoir lieu sans briser le cabinet, sans recommencer la crise ministérielle, peut-être aussi sans dissoudre la chambre ?

Au reste, tous les observateurs intelligens et désintéressés paraissent reconnaître que, dans l’état de la chambre, il n’y a de majorité forte et durable à espérer qu’en ralliant autour des 221 tous les hommes du centre droit et du centre gauche qui n’en sont séparés que par des malentendus et par des motifs d’un ordre secondaire, étrangers aux conditions essentielles du gouvernement représentatif.

M. Cunin-Gridaine a donné, dans le cabinet, la main à M. Duchâtel et à M. Dufaure. Pourquoi, dit-on, un rapprochement analogue n’aurait-il pas lieu dans l’enceinte du parlement ?

Le ministère désire un rapprochement, mais il voudrait en être l’auteur, et ce n’est pas ainsi qu’il paraît l’avoir compris, à en juger par son manifeste (Moniteur du 4 novembre). Il voudrait avoir l’air de rompre avec le passé et de faire du neuf. Il voudrait que la majorité, en se reformant, fût persuadée que le ministère l’a ralliée sur un terrain autre que celui sur lequel avaient manœuvré ses prédécesseurs. L’idée est ingénieuse. C’est en effet le seul moyen d’excuser l’espèce d’ostracisme dont semblent frappés les hommes que le pays était accoutumé à regarder, par leur position sociale et parlementaire, comme les chefs naturels des hommes politiques de notre temps. « Sans doute, peut-on dire, ces hommes sont des hommes éminens, et c’est un malheur que de voir le conseil et la tribune déshérités de leur talent, de leur autorité, de leur expérience. Mais une nouvelle carrière est ouverte : il leur serait trop difficile de s’y élancer avec succès, gênés qu’ils sont par leurs antécédens, par une autre politique ; plus elle a été forte, éclatante, plus il leur est impossible de la quitter pour une politique nouvelle. » Il ne manquerait à ce raisonnement que la base, c’est-à-dire une définition nette et précise de cette nouvelle politique, de la politique du 12 mai. D’un côté, on ne comprend pas trop comment les hommes d’état qui ont interdit aux Prussiens la Belgique révolutionnée, qui ont