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VOYAGE DANTESQUE.

aussi profondément la puissance religieuse du catholicisme que ces mesquines colonnes et cette insignifiante architecture. Que de vie dans la foi !

À côté des merveilles d’un art un peu barbare, le temple de Minerve, debout dans la ville de saint François, semble, par son élégante et harmonieuse beauté, protester contre le moyen-âge triomphant.

AGUBBIO.

La petite ville d’Agubbio (aujourd’hui Gubbio), célèbre dans le monde savant par les tables de bronze auxquelles elle a donné son nom, et qui présentent le plus considérable monument des anciennes langues italiotes, est un des points que ma piété dantesque était surtout jalouse de visiter. On sait que vers la fin de sa vie le grand exilé trouva un asile auprès de Boson, tyran d’Agubbio, en prenant ce mot dans le sens que les Grecs lui donnaient, pour désigner ceux qui s’emparaient de l’autorité souveraine dans une république ou une ville libre.

Cette hospitalité paraît avoir été plus cordiale que celle des fastueux Scaliger. Dante prit intérêt et peut-être aida aux études d’un fils de Boson ; et, dans un sonnet qu’on lui attribue, il loue ce jeune homme de ses progrès dans le français et dans le grec, c’est-à-dire dans une langue dont la connaissance était alors très répandue en Italie, et dans une autre qui y était généralement ignorée. Si le jeune Boson savait le grec, il n’était certainement pas le seul. Ce fait jette donc quelque jour sur l’époque où la plus belle des deux littératures de l’antiquité a été connue dans les temps modernes.

Boson paraît avoir eu un attachement véritable et un culte sincère pour l’illustre réfugié. Le chef guerrier d’Agubbio se fit même littérateur et poète pour l’amour de Dante. Il déplora sa mort en vers, et fut le premier commentateur de son poème, commenté tant de fois. Un des fils de Boson en fit un abrégé en vers. Tout cela montre à quel point cette famille avait subi l’action et comme ressenti l’entraînement de ce génie.

Par un singulier hasard, le mortel ennemi de Dante était d’Agubbio, ce Cante di Gabrielli[1], qui, podestat de Florence en 1302, mit son nom en tête d’une sentence écrite dans un latin barbare, et qui condamnait stupidement, pour cause de baraterie, d’extorsions et de lucres iniques, à être brûlés jusqu’à ce que mort s’ensuivît, s’ils

  1. La ville d’Agubbio, et la famille de Gabrielli en particulier, ont fourni à Florence un grand nombre de podestats et de barigels.