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Au-delà d’Arezzo commence la riante vallée de la Chiana. C’était au temps de Dante un lieu pestilentiel ; pour désigner un amas de corps souffrans et infects, de membres tombant en pourriture, le poète dit « qu’il en serait ainsi si tous les malades de Val-di-Chiana et de la Maremme, entre juillet et septembre (saison des fièvres), étaient réunis dans une même fosse[1]. » Maintenant le Val-di-Chiana est la partie la plus fertile et la plus riche de la Toscane ; cet heureux changement est dû à de magnifiques travaux de dessèchemens. Le souverain actuel en a entrepris de pareils dans la Maremme toscane, et il est à espérer qu’avec le temps la comparaison de Dante ne deviendra pas moins fausse pour ce pays que pour le Val-di-Chiana.

SIENNE.

Avant d’arriver à Sienne, on trouve encore un frappant exemple de l’exactitude pittoresque qui caractérise toujours les brèves descriptions de Dante. Il compare les géans qui se dressent en cercle au-dessus de l’abîme[2] au château-fort de Montereggion, qui s’élève sur une éminence voisine de Sienne, et la couronne de tours. Ce château-fort, au dire des commentateurs, était garni de tours dans toute sa circonférence, et n’en avait aucune au centre. Dans son état actuel il est encore très fidèlement dépeint par ce vers

Montereggion di torri si corona.

Les comparaisons de Dante sont empruntées souvent aux localités avec tant de bonheur et de justesse, que sans cesse un site, un aspect rappelle un vers ou une image du poète. Un voyage dans les lieux où Dante a vécu est une perpétuelle illustration de son poème.

Sienne la gibeline n’est guère mieux traitée que Florence la guelfe. — Ce que Dante reproche surtout aux Siennois, c’est leur vanité, qui l’emporte même sur la vanité française[3]. Cette saillie, inspirée à Dante par son dépit contre la France, montre que nous avions déjà, au moyen-âge, la réputation d’un défaut dont on s’est accordé généralement à nous gratifier.

Laissant de côté la question de la vanité française que mon patriotisme me détourne d’examiner, je soupçonne l’influence de quelque mécompte du banni sur le langage du poète. À peine Dante eut-il

  1. Inf., c. XXIX, 46.
  2. Ibid. c. XXXI, 40.
  3. Ibid., c. XXXIX, 123.