Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/565

Cette page a été validée par deux contributeurs.
561
VOYAGE DANTESQUE.

Puis il continue à descendre de plus en plus dans ce qu’il appelle la fosse misérable et maudite :

La maladetta e sventurata fossa.

L’expression fossa est d’autant plus exacte que le lit de l’Arno, entre Arezzo et Florence, est souvent une fosse profonde et resserrée. Les eaux du fleuve, pour se frayer un passage, ont coupé les collines en deux endroits, un peu après Arezzo, vers l’embouchure de la Chiana, et à l’Incisa, patrie de Pétrarque.

Après les pourceaux du Casentin et les chiens d’Arezzo, viennent les loups de Florence et enfin les renards de Pise, de cette Pise que Dante a appelée ailleurs l’opprobre des nations. Pise était gibeline aussi bien qu’Arezzo. Dante avait autrefois combattu contre les Arétins à Campaldino, contre les Pisans au siége de Caprona, et, bien qu’allié par l’exil et la proscription aux gibelins fugitifs, bien que rêvant jusqu’au délire l’omnipotence impériale, les anciennes inimitiés du guelfe vivaient toujours en lui, et faisaient explosion en présence des lieux qui les lui rappelaient.

Avant de terminer le récit de cette course dans le Casentin, je dois retracer un incident assez bizarre de cette partie de mon voyage dantesque. Arrivé à Borgo alla Collina, je fus entouré par plusieurs personnes du pays, à la tête desquelles était un prêtre qui, fort obligeamment, m’offrit de me montrer le corps d’un saint conservé miraculeusement. Je les suivis à l’église ; on souleva la pierre du sépulcre, et on me montra la figure desséchée du saint homme. J’allais me retirer quand, à ma grande surprise, jetant les yeux sur l’épitaphe, je découvris le nom de Landino, le célèbre commentateur de Dante au XVIe siècle. J’ai vu depuis à Florence, dans la bibliothèque Mabeglichiana, un magnifique exemplaire de ce commentaire, offert par Landino à la république. Une note manuscrite apprend que la république, en récompense de ce présent et de cet énorme travail, a accordé des terres à Landino, près de Borgo sa patrie. Il y repose maintenant, et ses compatriotes, qui probablement ignorent sa gloire d’érudit, lui ont décerné les honneurs de la sainteté. Cette renommée vaut bien l’autre, et je me gardai de désabuser ceux qui m’entouraient ; j’aurais craint de faire baisser dans leur esprit l’importance de leur concitoyen. En m’éloignant, je ne pus m’empêcher de sourire de cette rencontre inattendue et symbolique. Partout, dans la nature des lieux, dans la mémoire des hommes, j’avais trouvé vivant l’esprit du poète, et ici je trouvais desséchée la momie du commentateur.