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une allégorie sans cesser d’être un portrait. Laure représente la volonté dans la peinture de Memmi, exactement comme Béatrice la contemplation dans celle de Dante.

On peut remarquer que Dante a coutume de choisir dans l’histoire un personnage comme type d’une qualité, d’un vice, d’une science, et emploie tour à tour ce procédé et l’allégorie pour réaliser une abstraction. De même, dans la fresque de Thadéo Gaddi, quatorze sciences ou arts sont exprimés par des figures de femmes, au-dessous desquelles sont placés des personnages typiques qui sont des symboles historiques de chaque science. La première est le droit civil avec Justinien ; le droit canonique ne vient qu’après. Cet ordre est bien dans les idées politiques de Dante. La grande part qu’il voulait faire dans ce monde au pouvoir impérial l’a porté à choisir aussi Justinien pour représenter la Justice dans Mercure, planète où il a placé la récompense de cette vertu, en dépit de ce que la morale et l’orthodoxie pouvaient reprocher à l’époux de Théodora.

Dans ces peintures, on retrouve donc sans cesse des conceptions semblables à celles de Dante, ou inspirées par elles ; on remonte à lui comme à une source, ou on descend vers lui comme à une mer qui a reçu dans son sein tous les courans d’idées qui ont alimenté l’art au moyen-âge.

LA VALLEE DE L’ARNO.

Il n’y a peut-être pas en Italie un pays dont les souvenirs soient plus fréquemment mêlés aux affections personnelles de Dante que la portion supérieure de la vallée de l’Arno. Depuis quelque temps, les pas des voyageurs commencent à se tourner de ce côté. On commence à s’apercevoir qu’il y a autre chose en Italie que des capitales. Les petites villes, les châteaux isolés, les vallées solitaires, les cloîtres enfoncés dans les profondeurs ou perchés sur les crêtes de l’Apennin, ont bien aussi leur intérêt et leur physionomie. Il y a toujours profit à sortir des routes battues. On fait maintenant ce qu’on appelle la course des sanctuaires. Partant de Florence, on visite en quelques jours Vallombreuse, les Camaldules, l’Alvernia, berceau des franciscains, lieu consacré par la vocation de saint François, qui y reçut les stigmates. Pour moi, cette course avait un intérêt particulier ; j’étais attiré par une foule de localités vers lesquelles m’appelaient des vers que Dante leur a consacrés. Pèlerin d’une espèce nouvelle, j’allais, admirant les sanctuaires qu’ont ren-