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Le tombeau de sainte Zita est dans l’église de San-Frediano, vieille et curieuse basilique, et son histoire est le sujet d’une complainte populaire que j’ai achetée dans la rue. Sainte Zita est la Paméla de la légende : c’était une pauvre servante que son maître voulait séduire. Toutes les villes d’Italie, au moyen-âge, avaient ainsi un patron ou une patronne dans le ciel, comme les anciens adoraient le génie du lieu, la divinité protectrice du pays : Minerve était la patronne d’Athènes, et Vénus la patronne de Rome. Il y a quelque chose de plus touchant dans les puissances tutélaires invoquées par les cités chrétiennes : ce sont des hommes, souvent de faibles femmes, de jeunes filles ; à Palerme, sainte Rosalie, pénitente modeste, qui vivait dans un trou de rocher, et dont la fête est accompagnée de pompes splendides et gigantesques.

L’humble et chaste servante de Lucques a été la patronne d’une république guerrière. Les grands et terribles chefs du XIVe siècle, Uguccione della Faggiola, Castruccio Castracani, se sont inclinés devant son image. Ils ont passé rapidement : leurs tombes ne se trouvent plus dans la ville où ils ont régné ; la cendre de Zita y repose encore, et Dante a prononcé son nom.

Quant au Santo-Volto, que l’on conserve dans une chapelle fermée de la cathédrale, je n’ai pu le voir ; mais à Pistoia on en montre un fac simile d’après lequel il est aisé de se convaincre que l’original est un crucifix bysantin en bois noir, probablement d’une assez haute antiquité, et pouvant remonter au VIIIe siècle, époque où l’on dit que Lucques reçut la précieuse image. Dans ce siècle, qui fut celui des iconoclastes, beaucoup d’objets pareils durent être transportés en Occident par ceux qui fuyaient la persécution des empereurs isauriens.

Voici, selon la légende, l’histoire du Santo-Volto. Après la mort et l’ascension du Sauveur, Nicodème voulut sculpter de souvenir la figure de Jésus-Christ crucifié ; déjà il avait taillé en bois la croix et le buste, et tandis qu’il s’efforçait de se rappeler les traits de son divin modèle, il s’endormit. Mais à son réveil il trouva la sainte tête sculptée, et son œuvre achevée par une main céleste. Cette légende se rattache aux histoires apocryphes, dans lesquelles figurent Joseph d’Arimathie et Nicodème ; elle pourrait bien remonter à la date du crucifix lui-même, et être née pendant les persécutions des images. Donner alors à un crucifix une origine céleste, c’était braver et flétrir les édits qui proscrivaient les représentations figurées ; c’était dire aux empereurs iconoclastes qui mutilaient les peintres et les sculpteurs chrétiens : Vous ne couperez pas la main qui a fait cette image.