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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

on est parvenu à rassembler près de cinq mille volumes, parmi lesquels il se trouve un assez grand nombre d’ouvrages choisis.

C’est dans cette ville aussi que demeure l’unique médecin des Féroe. Il reçoit des appointemens fixes et doit traiter gratuitement les pauvres du pays. Mais il est impossible qu’un seul homme puisse porter secours à toutes les familles dispersées sur tant de côtes différentes. Souvent la mer est si grosse et le vent si orageux, qu’on ne peut aller d’une île à l’autre, et tandis que le médecin ou le prêtre attend que la vague se calme, pour pouvoir porter au malade un dernier remède ou une dernière consolation, l’humble enfant des Féroe meurt comme il a vécu, avec douleur et résignation.

Enfin on trouve encore à Thorshavn un hôpital : ce n’est qu’une modeste maison en bois bâtie au bord de la mer ; nais elle est ouverte aux étrangers comme aux hommes du pays. Ceux qui y entrent y sont traités avec une pitié touchante et une sollicitude qui ne se dément jamais. Quand nous arrivâmes dans cette ville, il y avait là un matelot de Boulogne. Une nuit, au milieu d’un violent orage, il avait été saisi sur le pont par une vague, jeté contre le grand mât, et il s’était cassé la jambe. Son capitaine essaya de la lui redresser à l’aide de quelques planchettes et d’un peloton de ficelle, puis il le conduisit à Thorshavn et s’en retourna en France. Le malheureux était là depuis deux mois, seul au milieu d’un peuple étranger dont il ne comprenait pas la langue, incapable de se lever, et ne voyant du matin au soir que les brumes ou les flots de la mer. Le médecin venait le voir tous les jours, et pour tâcher de le distraire dans sa solitude, il lui enseignait à lire. Sa plus grande joie, depuis qu’il était là, avait été d’apprendre notre arrivée. Il s’efforçait de se lever sur son lit pour voir par la fenêtre le haut des mâts du navire, et quand nous entrâmes dans sa chambre, il salua militairement le capitaine, et nous raconta dans son langage simple et naïf sa rude traversée en Islande, et son arrivée aux Féroe. On remarquait à la vivacité de son regard le bonheur qu’il éprouvait à voir des compatriotes, à entendre parler sa langue, et quand nous lui demandâmes s’il avait besoin d’argent : — Non, répondit-il, je n’ai besoin de rien ; mais si, comme je le crois, vous avez des matelots de Boulogne à bord, oh ! je voudrais bien qu’il leur fût permis de venir me voir.

Notre première impression, en pénétrant dans les défilés rocailleux de Thorshavn, avait été assez pénible. Cependant à peine avions-nous passé quelques jours dans cette ville que nous songions déjà à regret qu’il faudrait bientôt la quitter. Dans la maison du fonctionnaire comme dans celle du pêcheur, partout nous avions été reçus avec un empressement cordial. Quand nous passions dans les rues, nous ne voyions que de bonnes et franches physionomies, des femmes qui s’inclinaient gracieusement à notre approche et des hommes toujours prêts à nous servir de guides, à nous conduire dans leurs bateaux. Puis, si l’intérieur de la ville n’offre qu’un triste coup d’œil, toutes ces montagnes qui bordent le golfe, ces îles bleuâtres qu’on aperçoit dans le lointain, sont magnifiques à voir. J’aimais à monter le soir au-dessus de la colline où s’élève la forteresse, à regarder au-dessous de moi cette humble cité du Nord avec ses