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de la basilique trajane. Aristote fut presque canonisé par l’église ; mais nulle part peut-être cette déférence pour la sagesse païenne ne se produit d’une manière plus extraordinaire que dans un tableau de l’église de Sainte-Catherine à Pise. Ce que je viens de dire m’autorise à en parler, d’autant plus que le personnage principal est saint Thomas, le maître de théologie de Dante. Saint Thomas est assis ; son expression est méditative : il a l’air de ruminer quelque question difficile. On comprend le surnom de bœuf qu’on lui donnait dans sa jeunesse. Le Christ, les évangélistes, Moïse et saint Paul sont au-dessus de sa tête. Des deux côtés du saint, mais plus bas que lui, Aristote et Platon debout tiennent ouvert un livre écrit en hébreu. Dieu est au sommet du tableau ; des filets d’or descendent de sa bouche sur les docteurs de la primitive église, qui les envoient à saint Thomas, et de la bouche de celui-ci, il en descend un grand nombre sur la foule des théologiens. Mais ce qui est plus extraordinaire, deux de ces filets montent vers le saint des lèvres de Platon et d’Aristote.

Ainsi le peintre admettait que la science mondaine pouvait fournir quelque chose à celui qui était l’oracle de la théologie chrétienne. Mais il fallait que le triomphe de la foi sur la philosophie profane fût exprimé ; c’est le célèbre commentateur d’Aristote, Averrhoes, qui a été choisi dans ce but. Le médecin Averrhoes, dont la philosophie scandalisa ses coreligionnaires musulmans, paraît avoir eu quelque tendance au matérialisme, et avoir réuni un assez grand nombre d’esprits forts dans des opinions peu chrétiennes. Pétrarque s’emporte avec véhémence contre ceux qui négligent l’Écriture sainte pour les livres d’Averrhoes. Dans le tableau de l’église de Sainte-Catherine, il est couché aux pieds de saint Thomas ; il semble abattu, et, appuyé sur son coude, il rêve à sa défaite. Auprès de lui est un livre ouvert, à peu près deux fois plus grand que celui d’Aristote et que celui de Platon : c’est le Commentaire d’Averrhoes sur le premier de ces deux philosophes, ouvrage très étendu, en effet ; c’est le grand commentaire dont parle Dante : « Averrhoes qui a fait le grand commentaire ; » Averrois, che il gran commento feo[1].

  1. Inf., c. IV, 144.