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nombre, s’emparèrent de la forteresse, enclouèrent les canons, démolirent une partie du bastion, puis s’en retournèrent à bord de la frégate. L’histoire ne nous a pas conservé le nom de ces hommes qui s’en vinrent avec tant d’audace dans une mer paisible, masqués par un pavillon étranger, qui eurent la gloire de faire prisonniers vingt-quatre pêcheurs, de descendre en plein jour sur une terre sans défense, et de dévaster un bastion abandonné. Il faut croire que les annales maritimes anglaises sont, à cet égard, plus complètes que celles des Féroe. Les héros de cette glorieuse campagne doivent être inscrits tout près de ceux qui, dans un temps d’armistice, sans aucune déclaration de guerre, s’en allèrent un matin incendier la flotte de Copenhague.

Maintenant la forteresse de Thorshavn n’est plus qu’un bastion en terre, défendu par quelques canons, et gardé par une troupe de vingt-quatre chasseurs qui joignent à leur métier de soldat celui de matelot. Ce sont eux qui conduisent la barque du gouverneur, ou du landfoged dans leurs excursions à travers les différentes îles.

La meilleure défense de Thorshavn n’est pas dans ce simulacre de forteresse, mais dans l’aspect de ses rues et de ses environs. Comment la cupidité humaine pourrait-elle être éveillée, comment une idée de vengeance pourrait-elle se soutenir à la vue de ces collines incultes, de ces habitations dépourvues de tout objet de luxe, occupées par des familles souffrantes et résignées ? Autour de Thorshavn, il n’y a ni arbres, ni moisson, seulement çà et là quelque maigre enclos de verdure et quelque champ d’orge plus maigre encore, où le laboureur ne récolte souvent que des tiges de paille avortées, des épis sans grain. Les habitans de cette ville sont plus à plaindre encore que ceux des campagnes, car le sol qu’ils occupent ne leur permet pas d’élever des bestiaux ; ils n’ont pour toute ressource que le produit de leur pêche ou de leur industrie. Les femmes tricotent une certaine quantité de bas de laine et sont malheureusement obligées de les vendre à un très bas prix. Aussi, tandis que toutes les autres petites villes du Nord, Reykiawick, Tromsœ, Hammerfest, s’accroissent d’année en année et s’embellissent, la ville de Thorshavn reste complètement stationnaire. Pas un particulier ne parvient à s’y enrichir, pas un pêcheur ne peut élever une maison à la place de sa chétive cabane. La vie soucieuse à laquelle sont condamnés ces pauvres gens comprime leur développement intellectuel. Presque tous savent lire, beaucoup savent écrire ; mais ils ne s’associent pas, comme les paysans norvégiens du Gudbrandsdal, pour se procurer des livres et des journaux, et on ne trouve pas chez eux, comme chez les paysans d’Islande, des sagas imprimées ou manuscrites. Il y a maintenant dans chacune des Féroe une école ambulante, ou une école fixe ; mais tous ceux qui aspirent à devenir prêtres, ou à occuper quelque emploi civil, doivent faire leurs études en Danemark. Grace au zèle de quelques hommes intelligens, on a cependant fondé une bibliothèque à Thorshavn. Le gouvernement lui a donné une somme de 1500 francs. Divers particuliers lui ont envoyé des livres. Les prêtres, les fonctionnaires, les principaux habitans des Féroé paient chaque année pour l’agrandir une légère contribution. Avec ces faibles ressources,