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tre du petit salon s’arrangeait au loin déjà vert, et présageait peu à peu l’ombrage et les fleurs. Christel ne quittait plus cette chambre ; on y avait placé à un bout son lit si modeste, qui, sans rideaux, sous un châle jeté, paraissait à peine. Elle se levait pourtant, et restait sur sa chaise toute l’après-midi et les soirs comme auparavant. Malgré sa faiblesse croissante, depuis quelques jours, elle semblait mieux ; je ne sais quel mouvement de physionomie et de regard, plus de couleur à ses joues, avaient l’air de vouloir annoncer l’influence heureuse de la jeune saison. Hervé se disait qu’il fallait croire, ses discours aussi le disaient, et depuis deux heures, aux rayons du soleil baissant, on parlait de l’avenir. Christel s’était prêtée à l’illusion et en avait tiré parti pour tracer à Hervé, avec un détail rempli tout bas de vœux et de conseils, une vie de bonheur et de vertu, où lui, qui l’écoutait, la supposait active et présente en personne, mais où elle se savait d’avance absente, excepté d’en haut et pour le bénir : « Vous vivrez beaucoup dans vos terres, lui disait-elle ; Paris et le monde ne vous rappelleront pas trop ; il y a tant à faire autour de soi pour le bien le plus durable et le plus sûr. Vous prendrez garde à toutes ces haines de là-bas, et vous tâcherez surtout de concilier ici. » Et la famille, et les enfans, elle venait aussi à en parler, et embellissait par eux les devoirs : « Ils auront les mêmes fées que vous sous vos mêmes ombrages. » Hervé n’essayait plus de comprendre, il nageait dans une sainte joie ; le jour tombant et de si franches paroles l’enhardissaient ; il exprima nettement ce désir prochain d’union, et cette fois, soit qu’elle fût trop faible, après tant d’efforts, ou trop attendrie, elle le laissa s’expliquer jusqu’au bout sans l’interrompre. Il avait fini, lorsqu’il vit dans l’ombre une main qui s’avançait comme pour chercher la sienne ; il la donna et sentit qu’après une tremblante étreinte, celle de Christel ne se retirait qu’après lui avoir remis celle même de sa mère. Un long silence d’émotion suivit ; le jour était tout-à-fait tombé ; on n’entendait qu’un soupir. Après un certain temps, tout d’un coup la domestique entra, sans qu’on l’eût appelée, apportant un flambeau : mais la brusque lumière éclaira d’abord le front blanc de Christel renversé en arrière, et ses yeux calmes à jamais endormis.

Dès le lendemain, Hervé emmena la mère et la conduisit au château de sa famille, où tous les égards délicats, et de sa part un soin vraiment filial, l’environnèrent. Ce ne fut pas pour long-temps, et, avant la fin du prochain automne, elle avait rejoint, sous les premières feuilles tombantes du cimetière, l’unique trésor qu’elle avait perdu.