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tenir la concurrence avec une opération anglaise, par exemple, qui, après avoir réalisé ses profits sur les marchandises apportées d’Europe, trouve un fret avantageux et des bénéfices certains dans le chargement rapporté en Angleterre ? La lutte devient dès-lors impossible pour nos navires.

Nous devons donc recourir à toutes les voies pour donner à notre navigation les moyens de former des chargemens de retour à l’étranger ; car ce n’est qu’ainsi que nos relations peuvent s’accroître. Il faudrait, pour que notre commerce se développât avec le système actuel, que nous fussions la seule nation commerciale du monde, et que nous ne trouvassions pas, comme cela nous arrive, sur tous les marchés une rivalité forte et intelligente.

Pourquoi n’avons-nous qu’un ou deux navires qui visitent annuellement la Chine ? C’est que nous ne pouvons prendre en Chine qu’un ou deux chargemens de thé. Il en est de même partout. Nous aurions, tous les ans, cent bâtimens dans l’Indo-Chine, si nos dispositions douanières nous permettaient de former le chargement de retour avec les denrées que produit cette contrée.

C’est là une question d’une importance incalculable, car elle n’intéresse pas seulement notre navigation, elle intéresse également notre industrie ; on ne peut pas séparer l’une de l’autre. L’une ne peut pas souffrir ou prospérer sans que l’autre n’éprouve au même degré les mêmes effets. La navigation n’est que le canal de l’industrie : ainsi, chaque navire auquel vous donnerez la facilité d’aller chercher des produits à l’étranger, sera un nouveau débouché que vous créerez à l’industrie de notre pays.

Malheureusement, nous avons beaucoup à faire pour arriver à ce but, que nous atteindrons cependant tôt ou tard. Nous avons bien des réformes à opérer, bien des intérêts individuels ou locaux à froisser, bien des préjugés à vaincre ; mais, ce but est trop beau pour que nous nous laissions décourager. Tous les jours nous sentirons de plus en plus la nécessité de donner de l’extension à notre commerce, car chaque jour nous donnera une nouvelle preuve des immenses avantages dont il peut devenir la source.

Nous ne pouvons, toutefois, prétendre à arriver tout d’un coup et sans transition à ces améliorations ; nous avons des ménagemens à prendre, nous avons à assurer peu à peu la sécurité des intérêts dont j’ai parlé tout à l’heure ; mais aussi nous devons suivre, sans déviation, la route que nous trace l’intérêt général. Notre industrie étouffe, pour ainsi dire, dans les étroites limites de notre consommation intérieure ; nous devons ouvrir à ses produits le monde commercial, qui leur est aujourd’hui en partie fermé.

Nous sommes entrés, depuis 1815, dans une ère nouvelle ; le champ de bataille des nations n’a fait que changer ; aujourd’hui, elles rivalisent d’industrie ; chacune d’elles prépare ses moyens de puissance pour l’avenir, et prend ses positions à l’avance. Nous ne resterons pas en arrière des autres, nous ne retomberons pas dans cette apathie commerciale, suite inévitable de nos longues guerres ; nous saurons profiter et de notre expérience et de celle de nos rivaux.

Notre infériorité actuelle s’explique facilement : elle est la conséquence d’une