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ce spectacle. Lorsque j’approchai du lieu fatal, je ne remarquai pas ce mouvement inusité, j’allais dire cet air de fête dont je m’indignais à Paris, lorsque le hasard me conduisait autrefois sur la place de Grève un jour d’exécution. La population chinoise restait calme pendant que défilait devant elle la longue procession qui doit accompagner le criminel à ses derniers momens. Une exécution se fait toujours en Chine avec beaucoup de pompe. — Une compagnie d’hommes armés de piques ouvrit la marche ; la forme de leurs chapeaux me rappela le fameux armet de Mambrin ; leurs habits, tout bariolés de rouge, les faisaient ressembler passablement aux troupes de masques qu’on voit le matin du mercredi des cendres. Puis venaient des officiers à cheval, précédés d’hommes faisant sonner des chaînes et armés de fouets, comme pour rappeler au peuple qu’il était esclave ; derrière eux marchaient d’autres hommes portant des chaises, afin qu’en descendant de cheval, ces illustres personnages ne fussent pas obligés de rester debout. Il était aisé de distinguer les officiers tartares des officiers chinois, à leur physionomie plus hautaine et plus martiale et à leurs longues moustaches. Un de ces officiers passa près de nous et nous remarqua au milieu de cette foule dont le cortége arrêtait le passage, et qui, pressée par derrière, avait peine à ne pas forcer la ligne de soldats qui formaient la haie de chaque côté de la rue ; il nous jeta un regard où la curiosité et le mépris se mêlaient étrangement, et, quand il s’aperçut que nous soutenions ce regard sans baisser les yeux, nous pûmes voir un éclair de colère traverser son front. Ensuite passèrent une foule de mandarins portés dans leurs palanquins et distingués par la couleur du gland dont leur bonnet était surmonté. Chacun des mandarins était précédé et suivi d’hommes qui de temps en temps faisaient retentir l’air en frappant sur des gongs. Enfin venait le bourreau, tout habillé de rouge et portant à la main un large sabre dont le fourreau était couleur de sang. Le condamné marchait derrière le bourreau ; aucun prêtre ne l’accompagnait ; aucune consolation, ni humaine ni divine, ne venait adoucir ses derniers instans ; il était seul, le monde l’avait déjà abandonné. Une autre troupe de soldats fermait la marche. — J’ai toujours eu horreur des exécutions, et si parfois je me suis trouvé accidentellement près du lieu où un homme allait payer ce terrible tribut à la justice humaine, je me suis toujours empressé de tourner mes pas d’un autre côté ; mais cette fois j’étais poussé par un sentiment de curiosité plus fort que ma répugnance, et je me mêlai avec mes compagnons au petit nombre de personnes qui suivaient le cortége.

L’empressement de la population, si faible qu’il fût, nous fournit l’occasion de voir avec quelle active sévérité se fait la police chinoise. De nombreux agens, armés de fouets ou de longs bambous, châtiaient les téméraires qui tentaient de traverser la rue pendant le passage du cortége. Quand nous arrivâmes au lieu de l’exécution, qui n’est qu’une espèce de petite place ou plutôt d’élargissement de la rue, les juges étaient assis auprès d’une table et écrivaient ; les deux troupes de soldats étaient rangées derrière le tribunal ; le criminel était debout devant une espèce d’armoire sans portes et appuyée contre le mur ; sur ces