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tourent de leurs festons à jour sans le cacher. Cette chapelle est, sans contredit, la plus riche que j’aie vue dans mon voyage. On trouve le même dieu dans les magasins de tous les marchands ; du reste partout, en Chine, on rencontre la divinité ; toutes les boutiques ont leur petite pagode, qui en est le principal ornement. Au pied de chaque porte est une figure plus ou moins laide, gravée dans un petit renfoncement, et devant laquelle le bâton sacré fume dans un vase rempli de cendres ; c’est l’autel du dieu du foyer, ce sont les lares et pénates des Chinois. Je reviens au Con-soo. Devant l’autel du dieu, et sur une estrade un peu moins élevée, est un riche fauteuil orné de gueules de dragons. Ce siége est placé là pour annoncer que, quoique éloigné, l’empereur est présent partout. C’est aussi sur ce fauteuil qu’on dépose les offrandes, qui servent sans doute à l’entretien des prêtres du dieu. Le sens d’une des inscriptions qu’on lit dans cette salle est que toutes les transactions sont honorables, quand le principe de la justice est dans le cœur des hommes ; vérité un peu banale peut-être, et néanmoins trop souvent oubliée. D’immenses lanternes décorent le plafond, qui est d’une fort belle construction. En visitant les édifices publics de Canton, j’ai eu souvent l’occasion d’admirer de véritables chefs-d’œuvre de charpente et de menuiserie ; le plus habile ouvrier d’Europe ne pourrait rien faire qui les surpassât en élégance et en solidité. De chaque côté de la salle sont deux grands tableaux sur papier, dont on me fit remarquer le fini. Dans l’un, on voit deux vieillards décrépits qui ont allumé de l’encens et contemplent avec des marques évidentes de satisfaction la fumée qui s’échappe du vase. Au milieu de cette fumée, et en y mettant beaucoup d’attention, je pus distinguer deux chauves-souris aux ailes déployées ; la chauve-souris, chez les Chinois, est l’emblème du bonheur. L’autre tableau représente un jeune enfant qui offre un vase de fleurs à un vénérable vieillard ; ces deux figures sont parfaites : la physionomie du vieillard respire la bienveillance ; celle de l’enfant est d’une expression charmante et peint admirablement l’innocence et la piété du jeune âge.

Un escalier conduit de cette salle dans une cour, autour de laquelle règne une large galerie : cette cour est une salle de spectacle. Au fond de la cour s’élève le théâtre, tout resplendissant de dorures ; une porte donne accès de chaque côté dans des appartemens intérieurs ; deux signes tracés sur chaque porte en expliquent la destination : entrée, sortie. Les signes qu’on remarque sur le devant du théâtre signifient que, quand la comédie commence, la musique se fait entendre en l’honneur du dieu dont la statue fait face à la scène.

Le lendemain, nos excursions se bornèrent à une promenade en bateau à voile jusqu’à une île qu’on rencontre à quatre ou cinq milles en remontant la rivière. Les Européens ont donné à cette île, je ne sais trop pourquoi, le nom de Paradis. Les Chinois l’appellent Loo-tsun. Le site est assez joli ; de beaux arbres excessivement vieux ornent la rive, qui est très escarpée et d’un difficile accès. Je remarquai des ruines qui indiquent que l’île a été habitée autrefois par une nombreuse population. Je fis l’esquisse d’un ancien temple, dont l’effet, au milieu des arbres qui l’entouraient, était on ne peut plus pittoresque.