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au commerce européen, sont doublées par un étage supérieur où est déposée la soie, qui forme, avec le thé, le principal commerce de How-qua. De nombreux ouvriers étaient occupés à emballer des monceaux de soie blanche ou jaune ; une grande quantité de balles s’élevaient de chaque côté des salles jusqu’au plafond ; leur valeur me parut être d’au moins trois millions. Ces magasins aboutissent à la rivière, et là une foule empressée allait et venait, chargeant dans des bateaux chinois les riches marchandises qui, quelques jours plus tard, devaient passer sur des navires étrangers, après avoir laissé un grand bénéfice entre les mains du négociant[1].

Deux jeunes gens de manières très distinguées nous firent les honneurs de la maison de How-qua avec une politesse aisée que je ne me serais pas attendu à trouver en Chine. L’un d’eux, il est vrai, avait beaucoup voyagé ; il avait même été aux États-Unis et en Angleterre, et parlait passablement l’anglais. Je lui demandai ce qu’il pensait de l’Europe ; il me répondit sagement qu’il admirait toutes les belles choses qu’il avait vues dans son voyage, mais que, comme Chinois, son pays lui paraissait bien préférable. Voulant pousser à bout son patriotisme, je lui dis qu’il avait sans doute remarqué à Londres bien des merveilles d’architecture et d’industrie qui avaient dû le surprendre. — Non, répliqua-t-il, car nous avons chez nous des exemples de folie en ce genre ; mais généralement, quelque riches que nous soyons, nous nous contentons d’avoir des maisons commodes et agréables, et rarement nous sommes assez extravagans pour faire ce que vous faites en Europe. — Je ne sais si ce Chinois était sincère, ou s’il voulait, en nous accusant de folie, dissimuler l’infériorité de l’industrie de son pays ; je serais assez porté à adopter cette dernière opinion, car j’ai eu lieu d’observer depuis, dans bien des détails de la vie chinoise, un luxe frivole qui méritait pour le moins tout autant les vifs reproches de mon jeune interlocuteur.

L’établissement que nous venions de parcourir n’est qu’un des entrepôts de How-qua ; ce haniste n’y demeure pas. Plus loin, nous passâmes devant une de ses habitations ; c’était une maison de plain-pied, bâtie, comme toutes celles de Canton, de petites briques de terre grise cuite au soleil et qui forment une maçonnerie très régulière. Cette maison avait six entrées, et occupait un espace de cent quatre-vingts à deux cents toises sur une rue retirée. J’aurais bien voulu pénétrer dans l’intérieur, mais je reconnus bientôt qu’il fallait y renoncer ; de grands écrans sur lesquels étaient peints les dieux protecteurs du foyer interdisaient aux curieux la vue même du vestibule, et une foule de domestiques gardaient les portes. Un grand nombre de personnes, sans faire partie de sa maison, prennent part à l’hospitalité de How-qua, à peu près comme les anciens vassaux qu’entretenaient les seigneurs de la féodalité. Tous les

  1. How-qua est mort dernièrement ; on attribue sa mort aux vexations dont il a été l’objet lors de la mise à exécution des édits de l’empereur contre le commerce de l’opium. Il fut conduit enchaîné devant les factoreries, et on menaça les étrangers de lui trancher la tête sous leurs yeux, si l’opium n’était pas livré.