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UN VOYAGE EN CHINE.

Tous ces objets étaient étalés, comme dans les magasins de Paris, à l’abri de la poussière et des mains indiscrètes, sous des châssis vitrés. Dans l’arrière-boutique étaient placées sur de nombreuses étagères des curiosités de la Chine et du Japon et des antiquités de ces deux pays ; celles-ci consistaient principalement en figures de bronze, de caillou ou de porcelaine, dont quelques-unes, nous dit-on, remontaient au-delà de toute tradition, ce qui, en Chine, n’est pas peu de chose. Nous en achetâmes quelques-unes sur la bonne foi du marchand ; mais le haut prix que les Chinois mettent à ces objets nous força bientôt de mettre nous-mêmes des bornes à nos fantaisies d’antiquaires.

Nous pûmes remarquer, tout en cheminant, la tactique des mendians chinois pour obtenir d’abondantes aumônes, tactique aussi sûre que simple. Ces mendians vont presque toujours par couple ; chacun d’eux est armé d’une espèce de matraque ou d’un gong qu’il fait retentir aux oreilles du marchand qu’ils ont choisi pour victime, et ils ne cessent leur infernale musique que lorsqu’ils ont obtenu ce qu’ils désirent. En Europe, la police mettrait bien vite ordre à de pareilles exactions ; mais en Chine, où le gouvernement ne se soucie pas de nourrir ses pauvres, il les laisse se procurer comme ils peuvent les nécessités de la vie. Personne n’est tenu de leur faire l’aumône, mais aussi il est défendu de les chasser ou de les battre : ils doivent d’ailleurs se contenter de ce qu’on leur donne, si peu que ce soit. Ce qui m’étonne, c’est que la moitié de la population de Canton ne vive pas d’aumônes, tant cette existence est facile ; mais le peuple chinois est naturellement ennemi de la paresse et de l’oisiveté, et je remarquai que tous les mendians étaient hors d’état, soit par l’âge ou par maladie, de gagner leur vie en travaillant. Nous en vîmes de nombreuses bandes qui s’acheminaient vers un petit pont sur les degrés duquel ils s’assirent, exposant aux pâles rayons d’un soleil d’hiver leurs membres presque nus et engourdis par le froid de la nuit ; nous fûmes obligés de détourner les yeux pour ne pas voir le dégoûtant spectacle des plaies dont ils étaient couverts.

Au-delà de ce pont, nous trouvâmes le quartier des charpentiers et des menuisiers ; des sofas, des malles en bois de camphre de toutes grandeurs et de toutes formes, des chaises à la paresseuse tellement parfaites que l’imagination de nos bourreliers ne saurait en créer de plus confortables, remplissaient ces bruyans magasins. Dans le même quartier vivent les marbriers. La Chine fournit de très beaux marbres et à très bon marché ; je payai cent francs un dessus de table de marbre blanc veiné de rouge ; ce marbre avait quatre pieds onze pouces de diamètre, et la caisse cerclée de fer dans laquelle on le plaça aurait valu au moins trente francs en Europe.

Nous trouvâmes sur notre route le hong, ou maison de commerce, du haniste How-qua, le plus opulent marchand de Canton et l’homme le plus riche peut-être du monde entier. On estime sa fortune à 125 ou 150 millions de fr. Ses magasins se composent de quinze ou vingt salles en enfilade de vingt-cinq pieds environ sur chaque face. Ces salles, pavées de larges dalles et destinées à recevoir les échantillons et une partie des thés que ce haniste livre chaque année