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LA COMÉDIE AU DIXIÈME SIÈCLE.

Les disciples. — Cela est vrai.

Paphnuce. — Cependant si nous cédions aux raisonnemens des dialecticiens, nous ne conviendrions pas que le corps et l’ame soient contraires.

Les disciples. — Et qui peut le nier ?

Paphnuce. — Ceux qui sont habitués aux arguties de la dialectique. Rien, suivant eux, n’est contraire à l’être, à la substance ontologique qui est le réceptacle de tous les contraires.

Les disciples. — Qu’avez-vous entendu tout à l’heure par cette expression : suivant les lois de l’harmonie ?

Paphnuce. — Le voici. Comme des sons graves et aigus[1] produisent un résultat musical, s’ils sont unis suivant des rapports harmoniques, de même des élémens dissonans forment un seul monde, s’ils sont convenablement unis.

Les disciples. — Il est étonnant que des choses dissonantes puissent concorder, ou qu’il soit possible d’appeler concordantes des choses dissonantes.

Paphnuce.— C’est que rien ne peut se composer d’élémens tout-à-fait semblables, non plus que d’élémens qui n’ont entre eux aucun rapport de proportion et qui différent entièrement de substance et de nature.

Les disciples. — Qu’est-ce que la musique ?

Paphnuce. — Une des sciences du quadrivium de philosophie.

Les disciples. — Qu’appelez-vous le quadrivium ?

Paphnuce. — L’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie.

Les disciples. — Pourquoi l’appelez-vous quadrivium[2] ?

Paphnuce. — Parce que, comme d’un carrefour, d’où partent quatre chemins, ces quatre sciences découlent directement d’un seul et même principe de philosophie.

Les disciples. — Nous n’osons vous adresser aucune question sur les trois autres sciences, car à peine la faible portée de notre esprit peut-elle suivre la discussion ardue que vous avez commencée.

Paphnuce. — Cette matière est, en effet, d’une intelligence difficile.

  1. « Pressi excellentesque soni. » Pour l’expression excellentes, voy. Martian. Capell., lib. IX, § 931, et Remig. Altisiodorens, ap. Gerbert., Script. de Musica, tom. I, pag. 65. — Pour le sens des mots Pressi soni, voy. Aurelianus Reomensis, auteur du Ixe siècle, dans un traité intitulé Musica disciplina, cap. VI, ap. Gerbert., loc. cit., pag. 35. — Je dois l’explication de la plupart des difficultés musicales de cette scène à l’habileté de M. Anders.
  2. Il est singulier que Hrosvita, qui définit le quadrivium, ne parle pas du trivium. Voyez pour ces mots du Cange (Glossar. Med. et infim. Latinitatis). Le trivium comprenait la grammaire, la dialectique et la rhétorique. Cette division des études au moyen-âge répondait à la division actuelle en sciences et lettres. Le trivium et le quadrivium renfermaient les sept arts libéraux dont Cassiodore, Boëce et Martianus Capella ont traité ex professo ; Boëce emploie même déjà le mot quadrivium (Arithmetic., lib. I, cap. I). D’ailleurs, ce partage des connaissances humaines en sept branches est bien plus ancien que le Ve siècle. On se rappelle la 88me épître de Sénèque, commençant par ces mots : « De liberalibus studiis quid sentiam scire desideras. »