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demandé de longues années. Nous n’entreprendrons certainement pas l’examen détaillé d’un livre qui, pour être apprécié à sa vraie valeur, demanderait des connaissances tout-à-fait spéciales, et plus encore la science du médecin que la science de l’helléniste. La Revue se réserve d’ailleurs d’apprécier au long cette sérieuse et considérable publication, dès qu’elle aura atteint un nombre de volumes qui permette d’embrasser dans son ensemble au moins une des séries de la collection hippocratique. Je ne veux donc qu’indiquer à la hâte les divisions et les résultats du beau travail de M. Littré.

La première édition d’Hippocrate a été donnée à Rome, en 1525, par un ami de Raphaël, Fabius Calvus, que ce grand peintre aida dans son malheur. Mais ce n’était là encore qu’une traduction latine, propre sans doute à donner une idée des œuvres du père de la médecine, mais très insuffisante pour les amis si nombreux alors de la littérature grecque. Aussi les célèbres typographes vénitiens, qui ont rendu tant de services aux lettres et à l’antiquité, ces Alde dont M. Augustin Renouard a écrit la curieuse histoire, donnèrent-ils bientôt le texte grec. Douze ans après, en 1538, un imprimeur de Bâle, un ami d’Érasme, dont il est bien souvent question dans les lettres du panégyriste de la Folie, Froben mit au jour une édition nouvelle. Les traducteurs latins se multiplièrent ; après Calvus, il faut nommer Cornarius, et surtout Foës dont le travail, publié dans les dernières années du XVIe siècle, est resté l’un des plus grands et des plus remarquables monumens de l’érudition de la renaissance. Mais pour ne parler que des versions françaises, François Sentier, sous Louis XIV, avait commencé une traduction complète qui est restée inachevée. Le XVIIIe siècle ne produisit guère que des traductions partielles, quelquefois estimables. En 1801, Gardeil, plus heureux que Senner, donna un texte français d’Hippocrate. Bien que suffisamment exacte dans l’ensemble, cette œuvre était très loin d’être définitive. Toutefois la tentative peu heureuse du chevalier de Mercy, en 1812, ne devait pas être un encouragement. La difficulté extrême, l’aridité du sujet, n’ont pas rebuté M. Littré, et il a entrepris avec persévérance la construction d’un monument qui continuera dignement la gloire et la supériorité de l’érudition française.

À ne considérer cette nouvelle édition qu’au point de vue philosophique, M. Littré a rendu aux lettres grecques un immense service, qui honorerait même le nom de M. Hase ou de M. Boissonade, et dont il s’est acquitté comme l’eussent fait ces maîtres, avec perspicacité et patience. Depuis plus de dix ans, M. Littré collationne le texte d’Hippocrate sur les nombreux manuscrits de la Bibliothèque du Roi, et ce difficile recollement lui a fourni un grand nombre de leçons et de gloses qui lui ont permis d’arriver à une singulière pureté de texte. Il n’est pas de page qui ne contienne vingt ou trente variantes, la plupart pleines d’intérêt pour le sens ou la philologie ; des passages inédits tout entiers ont été retrouvés dans ces pénibles et laborieuses recherches. Pour ne citer qu’un exemple, le traité des Semaines, que l’on croyait perdu, existait encore, et M. Littré en donnera la traduction latine qu’il a découverte, et qui, malgré son obscurité extrême, n’en est pas moins d’un grand prix.