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et à le lire, par amour pour l’antiquité, dont l’étude convient à des gens d’esprit[1]. » D’autres fois, je le vois invitant les étudians à suivre les leçons de quelque professeur dont l’enseignement a pu les effrayer par l’aridité des matières. Il leur recommande le professeur, et il leur donne une idée sommaire du cours et du profit qu’ils pourront y trouver. Ainsi, à propos d’un traité d’arithmétique que doit expliquer Jean Fischer « Il y a, dit-il, beaucoup de mérite et d’utilité à posséder cette science, qui est d’un si grand usage dans la vie, et qui ouvre la voie à la connaissance des mouvemens célestes. Celui même qui ne sait que médiocrement l’arithmétique est en possession d’un art qui peut le rendre propre à diverses fonctions et lui être d’un grand secours. Il ne faut donc pas le négliger, car il est de sa nature le premier des arts, la connaissance des nombres étant la première lumière de l’esprit[2]. »

Outre ces avis directs, Mélancthon s’adressait souvent aux étudians et au public, dans des préfaces qu’il mettait en tête des auteurs anciens, écrites, soit par lui, soit par ses amis. La vraie critique n’a rien changé aux jugemens que Mélancthon y porte sur les auteurs. Le XVIIe siècle les a adoptés ; le XVIIIe siècle s’y est rangé, malgré la légèreté de ses opinions et de son savoir en ce qui regarde les anciens ; et, de nos jours, la seule nouveauté solide à laquelle on puisse prétendre, c’est d’y revenir.

Ces communications si naïves entre le maître et les élèves, cette vie ouverte à tous et sans murailles, cette intelligence où chacun allait puiser, cette plume universelle, font de Mélancthon un génie très original par tout ce qu’il fit pour ne point s’appartenir. Tous les grands hommes ne sont grands que par le besoin qu’on a d’eux ; mais il n’en est guère qui, après avoir servi leur siècle dans la première moitié de leur carrière, ne s’en servent, dans la seconde, pour se perpétuer dans une sorte de royauté solitaire et stérile. Mélancthon servit tout le monde jusqu’à la fin, et il fut d’autant plus grand, qu’alors que les hommes supérieurs commencent à s’imposer, il continua toujours à se donner. Toutefois, comme nul ne peut échapper au commandement, s’il y est désigné par la supériorité de son esprit, Mélancthon fut puissant à force de refuser le pouvoir. Comme recteur ou comme professeur, il gouverna l’académie qui gouvernait elle-même la ville, et la vue de cette figure douce et souffrante, que lui prêtent les gravures

  1. Corp. ref., no 3236
  2. Ibid., no 3036.