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MÉLANCTHON.

de solidité dans le jugement que par la dialectique. Le moyen-âge, n’en ayant pas la réalité, en avait adoré l’ombre. Il languit dans une sorte d’ébahissement devant les merveilleux tours de cet art équivoque, qui n’avait ni son fondement naturel, qui est l’étude des langues, ni sa matière, qui est la vie pratique et contentieuse. Mélancthon les lui rendit, et il rétablit l’empire de la vraie dialectique dans toutes les branches des connaissances humaines, dans les lettres et les sciences morales où elle garda son nom, comme dans les sciences physiques, où elle devait prendre le nom d’analyse.

Avant lui, la jurisprudence était une science obscure et captieuse, formée, comme la philosophie aristotélique, de quelques traditions confuses des monumens. On en avait fait l’art de résoudre des questions de ce genre : Quand Lazare fut ressuscité, son testament demeura-t-il valable ? Et cette autre : Un âne, voulant boire, s’approche d’un fleuve ; mais, trouvant l’eau du bord ou trop bourbeuse ou en trop petite quantité, il monte dans une barque qu’on avait amarrée là, afin de boire plus près du courant. La barque se détache, est emportée sur des écueils où elle se brise et où l’âne se noie. Procès entre le meunier qui accuse la barque d’avoir fait périr son âne, et le pêcheur, qui accuse l’âne du naufrage de sa barque. Qui a raison, qui a tort, du pêcheur ou du meunier[1] ? Voilà pour la théorie. Quant à la pratique, les lois et les jugemens étaient la proie de quelques agens d’affaires, qui profitaient de l’incertitude des traditions et de l’ignorance des juges, pour embrouiller les causes et semer les procès. Quoique Mélancthon ne fût pas jurisconsulte, il avait étudié les lois romaines, et y avait retrouvé cette sagesse écrite dont on dit qu’elles sont le recueil. Il y renvoya les jurisconsultes ; et, après avoir montré les sources et rétabli la théorie, il demanda que les lois et les jugemens fussent arrachés des mains des sycophantes et remis aux hommes de savoir et de probité. Les catholiques soutenaient cette jurisprudence à la fois puérile et meurtrière, d’abord comme une des pièces du vieil édifice, ensuite sous le prétexte qu’un état chrétien ne devait pas être régi dans le civil par des lois païennes. Mélancthon les combattit par des raisons profondes, faisant, dès ce temps-là, entre le citoyen dans ses rapports avec l’état, et l’homme dans ses rapports avec Dieu, cette distinction protectrice qui a valu à notre législation d’être qualifiée d’athée, apparemment parce qu’elle a cessé de se croire dieu.

Cette même méthode, il la conseilla dans l’étude de la médecine,

  1. Oratio Melanchonis de legibus