Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/410

Cette page a été validée par deux contributeurs.
406
REVUE DES DEUX MONDES.

solide. Mais l’admiration suscitait des critiques non moins passionnées, et ces disputes, sur ce misérable terrain d’équivoques et d’arguties, finirent plus d’une fois par des coups.

En arrivant à Wittemberg, Mélancthon y trouva cette dialectique florissante, et les réalistes et les nominaux qui continuaient d’y disputer, quoique Luther les eût fort surpris en apportant une bien autre matière de disputes que celle qui les tenait divisés. Mélancthon se plaça entre eux comme arbitre, condamna les deux partis, et leur demanda de réunir leurs forces pour rechercher en commun la vérité dans ces livres qu’ils citaient et qu’ils n’avaient pas lus. En même temps il leur mit dans les mains une grammaire latine et une grammaire grecque, et il rétablit la paix entre tous ces docteurs en en faisant ses écoliers.

Quant à la dialectique, il alla en chercher la définition dans Cicéron, qui lui fournit le programme même de ses leçons. « La dialectique, dit ce grand homme, c’est cette science qui enseigne à distribuer un tout en ses diverses parties, à découvrir par la définition ce qui est caché, à éclaircir par l’interprétation ce qui est obscur, à voir les équivoques, et à les résoudre par d’habiles distinctions, à posséder enfin une règle certaine pour juger le vrai ou le faux, et pour savoir si une conséquence est bien ou mal déduite de son principe[1]. » Mélancthon étudia les formes du raisonnement dans le plus serré et le plus vif des logiciens, dans Démosthènes. Puis, faisant un choix de tous les préceptes de l’art antique, et renouvelant le raisonnement lui-même, il appliqua cet instrument réparé à des questions qui touchaient à la conduite même de l’homme et aux plus grands intérêts de son temps. Il fit succéder, dans son auditoire, à une curiosité stérile, l’attention et la réflexion ; il intéressa aux vérités essentielles ceux que son prédécesseur Tartaretus amusait par des jeux de paroles. Bientôt le dieu dont parle Vitus fut traité par les nouveaux lettrés, comme les saints l’étaient par les réformateurs, et il courut plus d’une épigramme grecque ou latine, où l’on jouait sur la ressemblance de son nom avec le nom du Tartare, dont il avait, disait-on, répandu les ténèbres sur les pensées d’Aristote.

Cet art, dont Cicéron raconte que le grand jurisconsulte Scévola s’en aida pour débrouiller la jurisprudence, n’est que la méthode même de tout esprit bien fait ; et la chose existait avant le nom. C’est l’arme défensive de l’homme vivant en société. Étendez-la aux actions, c’est la morale. Il n’y a de sûreté dans la conduite, il n’y a

  1. Brutus, XLI, traduction de M. Burnouf.