Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/407

Cette page a été validée par deux contributeurs.
403
MÉLANCTHON.

inquiète, ou l’orthodoxie intolérante, ce soit pour la renaissance un médiocre honneur d’avoir aidé la réforme. Mais j’avertirai ces personnes de prendre garde d’être plus catholiques que chrétiennes. Dans le temps que la réforme suscitait les anabaptistes de Munster, ou qu’elle partageait la France en deux pays ennemis, cette prévention était juste ; mais depuis que les armes sont rentrées dans le fourreau, qu’aucun pays n’est divisé par la religion, que dans les deux partis les hommes éclairés se sont réconciliés sur le terrain du christianisme, il ne faut pas craindre de faire honneur à l’esprit ancien de nous avoir ramené des derniers excès de la scolastique à l’intelligence savante et profonde du christianisme. Il ne faut pas craindre de glorifier Mélancthon en particulier pour y avoir tant contribué par sa plume comme par toutes les vertus du chrétien pratique.

Je dirai même aux catholiques, pour peu qu’ils consentent à ne l’être pas plus que Bossuet, que c’est la réforme qui a fait le catholicisme gallican, le catholicisme profond, savant et philosophique de ce grand homme. Aimeraient-ils donc mieux le temps où des professeurs de scolastique, à Paris, s’évertuaient à montrer à leurs élèves en quoi papam vidi diffère de vidi papam ; où un article portait que soutenir qu’ego currit est de bon latin, sent l’hérésie ; où un professeur de théologie expliquant un passage des livres sacrés dans lequel il est question d’un roi de Salem qui offre du pain et du vin, croyant que Salem voulait dire sel, s’étendit sur la nature et la force de ce condiment ? C’était le temps où les évêques faisaient la guerre aux lettres, comme à des semences d’hérésie. La réforme força ces catholiques, qui avaient oublié leurs livres, et étouffé sous je ne sais quel amas de sophisterie les dogmes de l’évangile, de revenir aux sources même de leur foi, et de l’apprendre pour mieux la défendre. Les premiers écrits de Luther, et plus tard les lumineux traités de Mélancthon, firent rougir Jean de Eck et les autres de n’être que diffus, et les forcèrent à être éloquens. L’homme ne peut rien conquérir ni conserver que par le combat. Quand il fallut apprendre l’hébreu pour tenir tête aux élèves de Reuchlin, et réfuter les écrits de Luther et de Mélancthon par leur propre méthode, il y eut un plus grand nombre de vrais catholiques qu’au temps où la scolastique régnait paisiblement sur toutes les contrées du continent européen. Les plus illustres catholiques sont contemporains des réformateurs. Pendant que Luther et Mélancthon remplissaient l’Europe occidentale de leurs écrits, le catholique Thomas Morus disputait comme un père de l’église romaine et mourait comme un martyr de l’église primitive. Plus tard, ne sont-ce pas les protestans de Hollande qui suscitèrent