Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.
401
MÉLANCTHON.

nouvelles et les conquérait ; Mélancthon y mettait l’organisation et l’administration. Ces deux hommes étaient si nécessaires l’un à l’autre, que Luther, qui fut toujours le premier à s’en fatiguer et à vouloir rompre, ne gagna rien à se brouiller avec Mélancthon. Séparé du plus illustre de ses disciples, et du seul qui pût l’entendre sans être ébloui, le maître, au lieu de faire des conquêtes, n’eut que des aventures sans cause et sans effet. La parole de Luther toute seule soulevait des tempêtes dans la foule ; en passant par la bouche de Mélancthon, elle s’insinuait doucement dans les esprits, et y prenait racine.

L’influence que sa méthode lui donna en Allemagne, il l’eut en France, en Angleterre ; il l’eut en Italie, en Espagne, sur tous les esprits éclairés que l’inquisition et un air plus favorable au catholicisme n’empêchèrent pas de s’unir de vœux à l’Allemagne protestante. Cet art de trouver, au milieu de tant d’opinions extrêmes, une sorte d’esprit moyen où pussent se rencontrer toutes les intelligences, les unes comme à leur point d’arrivée, les autres comme à leur point de départ, lui donna une véritable importance diplomatique en Europe. Tant que les princes ne songèrent pas à tirer parti pour leur politique des questions religieuses, ou, plus tard, quand ils s’aperçurent que les embarras surpassaient le profit, ils pensèrent à se servir de Mélancthon. On s’exagéra même ce qu’il pouvait obtenir, chacun jugeant par soi l’effet que devaient produire sur les autres cette modération et cette clarté. Mais lui-même ne se laissa pas enivrer, et ne reçut jamais qu’avec hésitation cette médiation universelle, soit qu’il comprit que le débat ne resterait pas long-temps spéculatif, ou qu’il se souvînt trop du prix que lui avaient coûté ses succès à Augsbourg.

Si je ne craignais les opinions trop absolues dans une étude sur l’homme qui se fit une gloire immortelle en les évitant, et les airs de paradoxe en parlant d’un esprit qui les redouta comme des fautes contre la conscience, je dirais que Mélancthon fut la méthode vivante de la réforme. Et, comme il prit tous ses moyens dans les anciens, j’ajouterais, pour compléter ma pensée, que ce fut la renaissance qui fournit à la réforme sa méthode. Les preuves en sont manifestes, non-seulement pour ceux qui peuvent reconnaître sous la diversité des matières, et en l’absence de toute imitation visible, l’identité de méthode, mais encore pour ceux qui ne veulent se rendre qu’à des marques extérieures et matérielles. Tous les bons écrits théologiques du temps, et, parmi les meilleurs, ceux d’Érasme et de Mélancthon, sont pénétrés de l’esprit ancien. La plus belle qualité de ces