Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/402

Cette page a été validée par deux contributeurs.
398
REVUE DES DEUX MONDES.

Il avait vécu soixante-trois ans et autant de jours, et était mort à la même heure où il était venu au monde.

La nouvelle de sa mort amena toute la ville devant sa maison : étudians, étrangers, habitans de toutes les classes, demandaient à le voir avant qu’il fût mis dans le cercueil. Le corps resta exposé dans la bibliothèque, depuis le 20 avril au matin jusqu’au lendemain dans l’après-midi. Les plumes, et jusqu’aux débris de papier qui étaient répandus sur le plancher, furent enlevés. Sur le passage du convoi, des sanglots éclatèrent, parmi les femmes surtout, de qui Mélancthon s’était fait aimer, pour cette douceur et cette grace qui lui étaient particulières. Camérarius, arrivé le matin, n’eut pas la force d’entrer dans cette triste maison, au milieu des derniers préparatifs : il attendit que le cercueil fût fermé, et il le suivit jusqu’à l’église de la citadelle où le corps fut déposé à côté de celui de Luther. La mort avait réuni le disciple au maître, après une séparation de quatorze ans.

XVII. — MÉLANCTHON RÉFORMATEUR DANS LES LETTRES. — INFLUENCE DE LA RENAISSANCE SUR LA RÉFORME.

Mélancthon avait bien gagné l’éternel repos : il avait rempli, avec une gloire que lui seul ne connut pas, la double tâche de réformateur dans la religion et de réformateur dans les lettres. Nul ne mit à leur service un esprit plus pourvu des ressources particulières qu’elles réclamaient. Nul ne souffrit plus pour ces deux causes, lesquelles furent au commencement si étroitement liées : la réforme pénétrant partout où la renaissance avait ouvert les intelligences, et le même progrès éclairant les esprits et émancipant les consciences.

Mélancthon n’estima jamais de son immense savoir que ce qui pouvait en être compris du plus grand nombre. Quelquefois, pensant à la gloire des anciens écrits, il laissa échapper l’aveu qu’il eût pu faire des livres plus polis et plus agréables aux lecteurs[1]. Mais il ne se croyait pas le droit de se contenter, et sacrifiait volontiers ceux de ses dons naturels que le travail et la patience eussent perfectionnés, au besoin de faire paraître ses livres à temps et de les approprier à l’intelligence des lecteurs. À une époque où les livres étaient des actions, et les lettrés des chefs de parti, il n’était guère loisible de songer à la gloire des écrits durables. Pour Mélancthon,

  1. Epist. Ph. Mel. de seipso, et de editione prima scriptorum suorum.