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trouvait si grande et qu’il attribuait à une cause obscure. Et peu auparavant, étant couché : « Si ce n’est pas la mort, dit-il, c’est du moins un bien grand châtiment. » À la muraille où touchait son lit, était suspendue une carte d’Europe ; après l’avoir regardée avec des yeux fixes, il se tourna vers ceux qui le soignaient, et leur dit avec un sourire : « Virdung a lu dans les astres que je ferais naufrage dans la Baltique. Il a raison, je ne suis pas bien loin de cette mer. » Et, en effet, la partie de la carte où elle était figurée était la plus proche de son lit.

Le lendemain, ne pouvant souffrir aucune position à cause de son extrême faiblesse, il se fit placer sur une litière de voyage. Ceci s’appelle un lit de voyage, dit-il ; n’est-ce pas dans ce lit que je vais partir ? » Vers neuf heures, il appela Peucer : « Que vous semble, dit-il, de mon mal, et quelle espérance avez-vous ? Ne me dissimulez rien. — À Dieu appartient votre vie, répondit Peucer, et la longueur de vos jours. Nous les lui recommandons ; mais, puisque vous voulez que je vous dise la vérité, si je considère les causes physiques, votre état est loin d’être sans péril, car votre faiblesse est grande et s’accroît de moment en moment. — Je pense comme vous, dit Mélancthon, et je ne m’abuse pas sur cette faiblesse. » Et il pria qu’on cherchât dans ses papiers un projet de testament qu’il avait préparé, et dont le préambule était une profession de foi sur la religion. Comme on ne trouvait pas cet écrit, probablement dérobé par une de ces infidélités dont se plaignent tous les hommes publics de ce temps-là, il en dicta un autre où il donnait son sentiment sur les dissidences des protestans.

Le 19 avril, qui fut son dernier jour sur cette terre, après avoir tenu plusieurs discours à son gendre sur les malheurs de l’église, il parut dormir quelques instans d’un sommeil assez doux. Puis, se réveillant en sursaut, il pria Peucer de lui couper les cheveux, selon l’usage où il était de ne recevoir ce service que de lui, et se fit changer de linge, comme s’il eût été averti tout à coup du départ et qu’il voulût se tenir prêt. Peu après, il fut visité par des amis et des hôtes d’une ville voisine. Il s’entretint avec eux environ une demi-heure, avec quelque gaieté d’abord ; puis, ses pensées devenant sombres, il leur parla tristement des disputes qui déchiraient l’église ; et il ajouta : « Si je meurs, c’est un bienfait singulier de Dieu qui m’enlève à tous les maux dont nous sommes menacés. »

Vers midi, le pasteur et les professeurs de Wittemberg entrèrent dans sa chambre. Ne pouvant déjà plus parler, il demanda qu’on lui