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MÉLANCTHON.

descendant l’escalier qui y conduisait, les forces lui manquèrent, et il s’assit sur une marche la tête appuyée sur le coude. C’est dans cette posture que Camérarius le trouva.

Le jour de Pâques, quoiqu’il pût à peine se tenir debout, il voulut, dès six heures, aller à l’académie faire sa leçon accoutumée sur la solennité du jour. Déjà, malgré la résistance de Camérarius, il avait revêtu sa robe, disant qu’il se contenterait de faire aux élèves quelques courtes réflexions, lorsque son fils, survenant, lui annonce que l’auditoire est désert. « Est-ce donc toi, dit Mélancthon avec impatience, qui as donné ordre aux élèves de se retirer ? » Ce que celui-ci ayant nié, Mélancthon se calma : « Pour qui ferais-je ma leçon, dit-il, s’il n’y a personne ? » Et quittant sa robe, il se mit à écrire des lettres.

Des affaires pressantes forçaient Camérarius de partir. On n’avait pas perdu toute espérance, les membres étant encore valides et la tête intacte. Un goûter d’adieu fut préparé, où devaient assister quelques amis ; il voulut les traiter avec du gibier que lui avait envoyé le prince d’Anhalt, et du vin du Rhin, qui lui était venu d’un autre don. Avant de se mettre à table, Camérarius et lui étant dans la bibliothèque, lui assis sur un escabeau, et plusieurs personnes debout vers la porte, il dit à son ami, comme dans un dernier adieu : « Mon cher Joachim, nous sommes liés depuis quarante ans d’une amitié vraie et réciproque, d’où ni l’un ni l’autre de nous n’a cherché à tirer profit, et nous avons été de bons pédagogues, chacun à notre place. J’ai la confiance que nos travaux ont été utiles à plusieurs. Que si Dieu a voulu mettre fin à mes jours, nous continuerons de nous aimer saintement dans l’autre vie. » Ensuite ils descendirent pour le goûter, où Mélancthon, après quelques discours touchans sur la mort édifiante d’une fille de Camérarius, fut pris d’une telle faiblesse, que celui-ci, effrayé, remit son départ au lendemain.

Le moment de la séparation arrivé, Mélancthon lui dit d’une voix triste : « Que Jésus-Christ, fils de Dieu, qui est assis à la droite de son père et qui dispense ses dons aux hommes ; te conserve, toi, les tiens et nous tous ! » Et il ajouta des complimens pour la femme de son ami. Camérarius monta à cheval et partit pour Leipsick.

Le même jour, Mélancthon parla de la folie de ceux qui nient que Jésus-Christ ait craint la mort. « Il la craignait d’autant plus, ajouta-t-il, qu’il connaissait mieux que nous ce que c’est que mourir. » Il revint sur cette mort de la fille de Camérarius, et sur la maladie qui l’avait enlevée, et qu’il comparait à la sienne, sauf sa faiblesse qu’il