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Dieu le veut ainsi, dit-il, je mourrai volontiers : puisse-t-il faire que mon départ soit joyeux ! » Il était fort inquiet d’une éclipse qui avait eu lieu dans l’équinoxe, et d’une conjonction de Mars et de Saturne. Il y avait vu d’ailleurs un présage de stérilité, et avait conseillé à l’académie de se pourvoir de blé pour une disette, ce qui fut fait.

Vers huit heures, il parla d’aller faire sa leçon de dialectique à l’académie. Comme on essayait de l’en détourner : « Je ne lirai qu’une petite demi-heure, » dit-il, et il sortit, appuyé sur les bras de deux élèves. Arrivé dans la salle des cours publics, il la trouva vide, car on l’avait trompé d’heure, dans l’espoir que, ne trouvant personne, il s’en reviendrait. Il hésita d’abord s’il ne prendrait pas l’heure d’un de ses collègues, alors absent ; mais l’auditoire manquant, il se fit reconduire chez lui. Là, se sentant mieux, et neuf heures ayant sonné, il témoigna le désir de retourner à l’académie. On avait pensé d’abord à faire afficher que le cours n’aurait pas lieu ; mais, sur la réflexion que cette contrariété pourrait le fatiguer plus que sa leçon, on le laissa monter dans sa chaire. Il parvint à parler environ un quart d’heure sur un texte de Grégoire de Nazianze, dissimulant sa faiblesse, et affectant d’élever la voix. Cet effort parut toutefois le ranimer ; il continua tout le jour et une partie du lendemain à dicter une histoire universelle qu’il avait déjà menée jusqu’à Charlemagne ; et le sénat de l’académie ayant été convoqué pour délibérer sur quelques rixes entre des jeunes gens, il s’y rendit, et prononça de graves paroles, conseillant des mesures mêlées de sévérité et de douceur.

De retour chez lui, il se remit à ses travaux. Il faisait imprimer alors un discours funèbre sur la mort de Philippe, duc de Stettin et de Poméranie. Ses amis craignaient d’y voir un présage, et lui-même allant au-devant de leurs pensées. « Je ne traite plus, leur dit-il, que des sujets funèbres. L’excellent prince à qui j’ai rendu cet hommage a été un Philippe. Quoi d’étrange que moi, un Philippe de la foule, je le suivisse ? »

Le 12 avril, qui était le jour de la Passion, il se leva, après une nuit sans sommeil, à quatre heures du matin et à six heures il alla faire sa leçon, selon la coutume des professeurs de célébrer dès le matin la mémoire de si grandes choses, et quoiqu’il ne le fît pas sans beaucoup de fatigue, même en santé. Ce fut, d’ailleurs, la dernière fois qu’il parla en public. Il rentra chez lui pour n’en plus sortir que mort, luttant contre les progrès du mal, tantôt assis, tantôt debout et se promenant dans sa bibliothèque. Il y eut un moment où,