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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

loi, c’est qu’elle repose sur un tout autre principe. La concession de la franchise électorale, dans l’esprit de notre législation comme dans nos mœurs, présuppose une aptitude suffisante aussi bien qu’un usage sérieux et pleinement libre du droit lui-même. Chez nous, l’électeur est appelé à se recueillir dans le silence de sa conscience, sous l’inviolable secret qui protège les actes religieux. La loi, dans ses combinaisons larges et loyales, n’a tenu compte d’aucune influence, n’a supposé aucune direction ; elle n’a prétendu admettre au scrutin que les hommes présumés capables de comprendre dans toute leur hauteur, et la dignité du citoyen, et les devoirs qu’elle impose.

C’est pour cela qu’un abaissement du cens n’est pas, en France, plus soutenable en théorie qu’admissible en pratique, car celui de 200 francs atteint à coup sûr l’extrême limite que la loi ne saurait franchir sans mentir à elle-même. C’est pour cela qu’aucune analogie n’est possible entre le droit électoral, tel qu’il est fondé parmi nous, et celui qu’a concédé le reform bill aux innombrables freeholders et locataires de votre aristocratie terrienne. En vous plaçant au point de vue français, il vous sera facile de voir, monsieur, que bien des années sont encore nécessaires pour que nos mœurs soient complètement dignes de nos lois.

À ceux qui réclament la suppression du cens électoral, en vertu d’un droit naturel, je n’ai rien à dire, sinon qu’ils vont à la barbarie. Je n’ai pas à discuter non plus, avec une autre école, les conséquences du vote universel ; j’affirme seulement que ce vote ne serait d’aucun profit pour elle, et qu’il y a quelque aberration d’esprit à croire le contraire. Que cette école remue à plaisir toutes les combinaisons imaginables, qu’elle fasse des élections à un, deux, trois ou dix degrés, elle ne fera jamais prédominer des influences éteintes, elle ne mettra jamais les mœurs publiques en harmonie avec ses doctrines, elle ne reliera ni la chaîne des temps, ni celle des souvenirs.

Faut-il conclure de tout ceci, monsieur, que notre système électoral soit une institution invariable et définitive ? C’est là un titre qu’il y aurait de l’imprudence à prodiguer dans des temps tels que les nôtres, et que je ne voudrais, en aucune manière, attribuer à notre loi de 1831. Je crois difficile, pour ne pas dire impossible, de la modifier aujourd’hui d’une manière quelque peu profonde ; mais je crains qu’elle ne corresponde pas toujours à la confiance de la nation. Je redoute, dans ces oscillations successives que les intrigues parlementaires rendront désormais plus fréquentes que la lutte