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tique extérieure que se sont élevés tous les conflits entre les diverses factions parlementaires, entre leurs chefs et la couronne ? Et ce serait de telles matières qu’un corps électoral, plus nombreux et moins indépendant que le nôtre, serait appelé à trancher souverainement ; ce serait ainsi qu’un peuple, fier de sa place dans l’échelle de la civilisation, livrerait ses plus chères destinées aux arrêts de l’ignorance et de la vénalité !

Nul ne se fait illusion sur le résultat qu’aura dans la chambre élective toute proposition pour l’abaissement du cens électoral ; dès-lors la force des choses y renfermera cette discussion dans des proportions fort étroites. Ceci vous étonne, monsieur, et je crois déjà vous entendre me rappeler que l’Angleterre confie la formation directe de sa chambre des communes à tout locataire d’une maison payant dix livres sterling de loyer ; que la Belgique, dans la combinaison de son cens proportionnel, appelle au scrutin électoral tous les paysans de ses campagnes, avec un cens de 30 florins et même au-dessous[1].

L’objection serait plus spécieuse que grave, et il sera facile de le faire comprendre à un esprit tel que le vôtre. Ne voyez-vous pas que l’esprit de la loi anglaise, aussi bien que celui de la loi belge, est de favoriser, en les légalisant en quelque sorte, toutes les influences qui dominent ces deux pays, ici l’influence territoriale, là celle du clergé, et que, sous les formes de la démocratie, le législateur a su atteindre aux résultats les plus aristocratiques ? Comment s’est développée chez vous la réaction tory ? N’est-ce pas par l’effet même du bill de 1832 que le parti, brisé par la réforme, paraît en mesure de rentrer aux affaires ? D’un autre côté, la loi votée par le congrès belge n’est-elle pas la plus solide garantie du parti catholique, auquel sont commises les destinées du nouveau royaume ?

Si l’on pouvait douter de la fondamentale pensée de votre loi électorale, ne suffirait-il pas de voir quelle importance vous attachez à la conquête du scrutin secret, et avec quelle obstination vos adversaires politiques vous le refusent ? N’est-il pas évident que le bill de lord Russell avait pour but de rendre à l’aristocratie, sous des formes plus régulières, l’action qu’elle était contrainte d’abdiquer ? N’est-il pas manifeste que vos nombreux électeurs sont des chiffres destinés à emprunter toute leur valeur du chef derrière lequel ils sont groupés ?

Or, monsieur, ce qui fait l’honneur de notre pays, comme de notre

  1. 20 florins pour les provinces de Luxembourg et de Namur, 25 pour le Limbourg, 30 pour les campagnes des autres gouvernemens. (Loi élect. Belge, art. 52.)