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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

pas lorsqu’on voudra étudier avec soin les élémens de la seconde liste du jury, au lieu de s’arrêter à quelques noms bruyans et à un petit nombre de jeunes têtes qui n’ont pas encore jeté leur gourme universitaire. La chambre de 1831 eût donc pu, sans nul inconvénient, correspondre sur ce point à la pensée du cabinet, et donner à l’intelligence cette satisfaction à coup sûr plus éclatante que dangereuse. Je regrette sincèrement, pour mon compte, qu’il n’en ait pas été ainsi, et que cette arme n’ait pas dès-lors été arrachée à la main des partis par celle du pouvoir, ce qui est la bonne et seule manière de faire sans danger de la politique libérale. Mais une mesure aussi insignifiante dans ses résultats définitifs, aussi mollement réclamée d’ailleurs par l’opinion, peut-elle légitimer en ce moment la révision et la refonte d’une législation qui date à peine de huit années ?

Je ne le pense pas, monsieur, et, à mon sens, il importe que la France expérimente plus long-temps et d’une manière plus complète l’ensemble d’un système électoral hors duquel elle ne conçoit pas présentement la liberté politique, système qui me paraît devoir créer dans l’avenir des difficultés sérieuses à cette liberté elle-même aussi bien qu’à l’économie tout entière du gouvernement représentatif. De ces difficultés je ne veux ici toucher qu’une seule, celle qui est déjà la mieux comprise.

La France de 1830 conserva de la législation antérieure ces colléges d’arrondissement qui avaient créé entre les citoyens des relations déjà vieilles de dix années, disposition qui donnait de grandes facilités matérielles pour l’exercice du droit, mais dont la conséquence était de créer entre les électeurs et leurs mandataires des relations d’une nature tellement étroite et personnelle, que la vérité du gouvernement représentatif pourra finir par s’en trouver gravement compromise. L’excitation de tous les intérêts privés se combinant avec l’affaiblissement de toutes les croyances politiques ne peut manquer en effet d’altérer de plus en plus la nature du mandat électoral ; et si cette déplorable tendance n’était enfin arrêtée par la loi à défaut des mœurs, un jour viendrait, c’est à chacun de juger s’il est proche, où le député de la France ne serait que le procureur fondé d’un chef-lieu de sous-préfecture, le chargé d’affaires d’une centaine de commettans. On mesurerait alors sa valeur politique au nombre de ses conquêtes administratives, et son assiduité dans les antichambres lui serait plus comptée que sa puissance à la tribune. Les services rendus, le patronage acquis, l’intimité que des rapports aussi personnels établissent, tendent à constituer une sorte d’inféodation