Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.
366
REVUE DES DEUX MONDES.

l’opposition repoussant de l’urne électorale une magistrature dont elle ne pouvait contester les lumières, et à laquelle elle n’avait à reprocher que de ne pas se faire la complaisante de ses passions, et refusant aux interprètes suprêmes de la loi le droit qu’elle proposait d’étendre à toutes les professions libérales ; ce fut en vertu de légitimes, mais tristes représailles, que succombèrent à leur tour dans des scrutins de jalousie et de récriminations les catégories diverses appelées à la franchise politique. Aucune idée générale ou généreuse ne domina cette discussion, et si de tels débats se reproduisaient jamais, ce serait à désespérer de tout esprit parlementaire, de tout avenir politique.

N’en concluez pas, monsieur, que j’attache à cette question elle même la haute importance qu’elle paraît offrir au premier aspect. En fait, l’adjonction des professions libérales évaluées par la commission de 1831 à un quinzième au plus du nombre des électeurs censitaires eût exercé une action fort peu sensible sur l’ensemble des résultats électoraux. En théorie, on peut parfaitement admettre le droit de l’intelligence sans être conduit à repousser la garantie du cens. La capacité présumée est sans nul doute la base de notre nouvelle hiérarchie sociale ; mais cette capacité existe-t-elle, au moins dans des conditions patentes, lorsque, par ses efforts soutenus, elle n’a pu produire un capital de 20 à 30,000 francs, qui suffit pour établir le cens de 200 francs exigés par la loi ? L’instruction professionnelle ou libérale est un instrument de production et de travail, ni plus ni moins que l’héritage immobilier, et la loi, qui ne peut opérer que sur des faits extérieurs et sensibles, n’est-elle pas fondée à mesurer cette instruction à l’intérêt qu’elle rapporte ? Si cet intérêt est nul, la société n’a-t-elle pas quelque droit de se tenir en garde ; et s’il faut quelques années pour accumuler le capital, signe légal de l’aptitude politique, ce temps d’épreuve n’est-il pas utile pour préparer l’homme par tous les devoirs du chef de famille à l’exercice de tous les droits du citoyen ?

L’on pourrait ajouter que l’admission des professions libérales à la franchise électorale ne saurait inquiéter pas plus que servir les intérêts d’aucune opinion politique. J’ai, du moins pour ce qui me concerne, pleine confiance que ces professions, dont l’influence s’exerce déjà dans toute sa force en dehors des colléges électoraux, admises à ajouter quelques bulletins à ceux que le corps électoral dépose aujourd’hui dans l’urne, concorderaient, dans leurs choix comme dans leur esprit, avec sa majorité sage et conservatrice. On n’en doutera