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Cette parodie d’institutions libres rendue plus dérisoire et plus complète par les divers sénatus-consultes organiques publiés sous le consulat et l’empire, ne put manquer de porter à l’élection indirecte une atteinte dont il lui sera bien difficile de se relever. On ne comprit plus le droit électoral à moins d’une action immédiate et décisive exercée sans intermédiaire jusqu’au centre même du pouvoir. L’on sait, depuis long-temps, que l’une des plus funestes conséquences du despotisme comme de l’anarchie est de déterminer des réactions qui trop souvent dépassent le but sans l’atteindre.

Sitôt que la chute du gouvernement impérial eut préparé les esprits à l’établissement de la monarchie constitutionnelle, la pensée publique se porta vivement sur le système électoral, et elle ne se déclara satisfaite qu’en pratiquant le contre-pied de ce qui avait si long-temps lassé la dignité pour ne pas dire la probité du pays. L’irrésistible entraînement de l’opinion vers l’élection directe força le sens de la Charte de 1814, dont le texte portait seulement, que « pour concourir à l’élection des membres de la chambre des députés, il fallait être âgé de trente ans, et payer 300 francs de contributions directes[1]. »

Cette interprétation devint plus populaire encore lorsqu’on vit les hommes de l’ancien régime essayer de relever, au profit de leurs doctrines et de leur influence, le système de l’élection à plusieurs degrés. C’était là, sans nul doute, une illusion gratuite dont le temps n’aurait pas tardé à faire justice. Sous quelque ciel que vous transplantiez un arbre, de quelque suc que vous nourrissiez ses racines, vous ne verrez point des fruits étrangers pendre à ses rameaux, il ne mentira jamais à la loi de sa création. En vain l’ardente majorité de 1815, en vain l’école qui voudrait aujourd’hui continuer ses traditions en les badigeonnant d’un libéralisme de contrebande, auraient-elles demandé à la nation de répudier les faits et les principes de 89 ; l’élection gratinée n’aurait pas donné à cette époque et donnerait bien moins encore aujourd’hui les résultats qu’on affectait d’en attendre. Les cent jours avaient dû provoquer une réaction temporaire ; mais espérer, par un mécanisme électoral quelconque, escamoter une majorité contraire à la pensée de la France, c’était là une de ces illusions qu’il est étrange de voir se maintenir encore dans quelques esprits. Les deux degrés n’auraient pas ranimé une foi éteinte, ce système n’aurait pas créé des influences qui, si elles existaient, n’en auraient

  1. Art. 40.