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remit en vigueur, à quelques détails près, le mode électoral de 91. Elle rétablit les assemblées primaires et les assemblées électorales, en imposant aux électeurs l’obligation de posséder un bien d’un revenu de cent à deux cents journées de travail, selon les localités[1].

Ainsi, l’élection indirecte triomphait tout d’abord, comme un gage précieux donné à l’ordre public, comme un premier principe de sécurité rendu à la société bouleversée jusqu’aux abîmes. Depuis cette époque, elle a toujours conservé ce caractère. Lorsque les pouvoirs se sont vus faibles, ils l’ont constamment invoquée comme un moyen de salut, pendant que les partis ont demandé à l’élection directe des choix que ce mode leur donna toujours plus de chances de dominer. Comment ne pas voir, en effet, que l’élection directe réfléchit d’une manière à la fois plus souveraine et plus vive, et les soudainetés de la pensée publique, et les capricieuses impressions de la presse, tout ce qui fait prévaloir la partie ardente et mobile de l’opinion contre sa partie fixe et réfléchie ?

C’est surtout pour le tempérament français que l’élection indirecte semble avoir été conçue. Il en est de ce mode comme de la division du pouvoir législatif en deux branches : c’est une réserve prise contre l’impétuosité du premier mouvement, un refuge pour la conscience publique recueillie dans l’accomplissement de ses devoirs. Quoi, d’ailleurs, de plus logique qu’un tel système dans un pays où les lumières, aussi bien que la propriété, sont inégalement réparties dans la classe nombreuse qui les possède, et sous un droit public qui aspire à dispenser à chacun selon la mesure de sa force ? L’établissement de degrés dans la concession des droits politiques, degrés correspondant à ceux qui résultent des diverses garanties sociales, est le seul système qui permette d’étendre la franchise élective sans absurdité dans la théorie et sans danger dans la pratique. En repoussant ce mode, on est forcément conduit à circonscrire le chiffre du corps électoral, afin de le laisser moins au-dessous de sa décisive et redoutable mission. Lorsque, dans l’état actuel des mœurs et des intérêts, on réclame en même temps et des électeurs nombreux et des élections directes, on donne à penser ou qu’on n’embrasse pas l’effrayante étendue d’un mandat qui résume dans un nom propre les plus ardus problèmes du temps, ou qu’on tient peu à ce qu’il soit rempli par des hommes en mesure de le comprendre ; on fait preuve, ou d’une médiocre intelligence politique, ou d’un cynisme difficile à qualifier.

  1. Art. 30 et suiv.